Deux ou trois trucs sur les metaux du dehors.
Constant Chevillon 1937 - A propos de l’Art Royal
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i le fait d’être humain n'est pas simplement une affaire de constitution de chair et de sang, si au lieu de cela il s'agit d'une façon de penser, d'agir... d’apprendre à mieux maîtriser son attention, se donner, par conséquent, la possibilité de reprendre le contrôle de sa vie mentale pour accorder son énergie à ce qui est précieux, à chaque instant et de ressentir des émotions, alors j'ai bon espoir qu'un jour je découvrirai ma propre humanité.
D’un autre côté, les agitations provoquées par l’usage de calculateurs, et de machines porteuses d’informations diverses, totalement dénués d’émotions, de sentiments, spécialement conçus pour tourner et retourner d’immenses quantités de probabilités mathématiques et dont l’observation du fonctionnement amène à conforter l’idée stérile que l’esprit humain ne serait rien d’autre qu’une base de données pouvant tenir sur une clé USB de 64 MB ; alors… Je me sens très mal car le « connais-toi toi-même » devient illusoire, sauf à penser que la connaissance du Soi relève de la maitrise d’un parcours initiatique décalé où la chose la plus importante est toujours celle que l’on ne domine pas. Celle qui donne l’information qui donne du sens et que l’on aurait laissé de côté durant le temps où nous étions plongés dans le futile, dans l’inondation d’informations qui permettent d’avoir un avis, de briller comme un métal poli, mais qui ne donnent rien d’autre que des certitudes en harmonie collective.
De méchantes langues diraient que ce sont aussi celles sur lesquelles un grand nombre d’entre nous recommandent aux autres de se pencher. Les yeux blancs, plongés dans les « cherche et tu trouveras ».
En attendant le grand œuvre de la décantation, lorsque les métaux retombent au fond du bocal, je continuerai d’apprendre, de changer, de grandir et d'essayer de devenir meilleur que je ne le suis. C’est pas gagné, mais je continuerai de penser qu’il nous faut laisser ces métaux à l’extérieur… dans la mare d’eau.
Mais, si ces métaux sont faits de matière dure, que nous reste-t-il une
Doit-on tendre vers l’universalité dématérialisée afin de pouvoir accéder aux arcanes initiateurs ?
Ce n’est toujours pas gagné car il faut briser la pierre pour en extraire les métaux.
Cela n’est pas sans rappeler l’incontournable Nouveau Testament et notamment l’apôtre Pierre, aussi appelé Kephas, « le roc » en araméen ou Kephalée en grec, ce qui signifie « le crâne ».
Ce crâne de pierre, c’’est, bien sûr, le siège de tout ce qui empêche, comme celui de tout ce qui permet.
Il faut donc se fendre le crâne pour pouvoir trier les informations afin que l’on puisse faire la stéréotomie de cette pierre sur laquelle repose les fondations de la construction.
Se fendre le crâne au son des trois reniements…
Nous sommes en pleine alchimie… l’œuvre au Rouge, en particulier… L'œuvre au rouge qui termine le Grand Œuvre. Selon les alchimistes, la Pierre se transforme alors en un cristal incorruptible resplendissant d'une teinte rubis au moyen d'un feu permettant la fusion de la matière et de l'esprit.
Une tempête sous un crâne, en quelque sorte.
L'œuvre au rouge débute par la mort à un état de pureté non incarnée et l’Éveil du désir, chez l’alchimiste, d’incarner pleinement l’illumination de sa conscience.
L'union dans la psyché de l’âme et du corps représente le mariage alchimique final, l’incarnation symbolisée par la couleur rouge, dont les alchimistes parlent en termes de naissance. Rubedo est le moment où l’alchimiste devient ce qu'il a toujours été, sans le savoir.
D'un point de vue psychologique, ce moment est celui de la dernière conjonction, où le moi perd sa place centrale au profit du Soi avec lequel il reste en communication.
Cela me conduit à mettre le doigt sur une grande ambigüité de l’apprentissage maçonnique.
En effet, lors de l’initiation, on lui retire ses métaux, mais on le revêt d’un tablier dont le fermoir est métallique. Plus encore, il est en forme de serpent. On lui ôte ce qui est transmutable pour le revêtir du symbole de la transmutation. On le plonge dans le cycle vie-mort-renaissance avant même qu’il ne soit Maître. Ce symbole ophidien, c'est l'énergie de l'intégrité, l'habileté de tout expérimenter volontairement et sans résistance, afin de parvenir à la sagesse. Alors doit-il vraiment le laisser à la porte du Temple ?
Après avoir pris conscience de notre ombre, et s'être laissé guider par l'anima/animus, avoir surmonté l'épreuve de l'identification aux émanations du Soi, il nous faut incarner le résultat de la communication cognitive qui résulte du processus : donner corps aux Ténèbres.
Il s'agit d'atteindre à la plénitude du Soi et la complétude qui s’y attache. Ils ne peuvent surgir seulement lorsque que tous les morceaux de l'être ont été rassemblés.
De fait, laisser les métaux à la porte du Temple, c’est, avant tout dissocier l’information utile, l’information qui fait comprendre, celle qui donne du sens, et laisser dehors l’information futile qui fait seulement savoir pour croire. Cela permettra de trier pour mieux identifier ce que nous recherchons, il nous faut comprendre ce qu'est un état d’« attention » favorable, ce qui implique d'examiner notre vie mentale au niveau le plus fin qu’il nous soit permis d’atteindre, celui de la « micro-cognition» qui désigne l'enchaînement perpétuel de nos perceptions et de nos actions.
À tout moment de notre existence, la vie mentale apparaît rythmée par des cycles enchaînant rapidement perception et action, des ondes qui, mises bout à bout, définissent ce que nous vivons et faisons. La maîtrise de l'attention, le tri, s'acquiert par le développement d'une nouvelle forme de sens de l’équilibre.
Dans ce contexte sensitif, toute activité demandant de l'attention des métaux lourds, des informations inutiles s'apparente à la traversée d'une poutre, c’est pourquoi il faut se libérer des informations inutiles, celles qui font seulement savoir, celles qui s’accumulent en nous sans bénéfice, sans contenu, pour générer de l’« infobésité » comme disent les canadiens. Trop d’informations creuses ne tuent pas l’information, elles ne tuent que l’intelligence qui permet l’analyse. Il faut alléger notre cerveau funambule, le libérer de tous ces métaux qui le tirent vers le bas, afin de l’habituer à bien placer chacun de ses pas, et à compenser immédiatement le moindre de ses déséquilibres.
Seule l’étude assidue permet de faire le tri.
Ce n'est qu'une fois vraiment aguerri à cet exercice qu’il est possible de vivre l'expérience de la réalisation de/du Soi, ce qui suppose un changement dans la personnalité devenue à même de la contenir et de la soutenir.
Nous découvrons alors que la méditation et le vide ne sont qu’une seule et même chose beaucoup moins efficace que l’étude dans les domaines initiatique. Pourquoi ? Eh bien parce que les outils utilisés dans les religions ont pour vocation d’amener à une transfiguration alors que ceux nécessaires aux travaux maçonniques doivent conduire à une forme de transmutation psychique. Le franc-maçon voit la Lumière, il n’a pas vocation à devenir Lumière. Le siècle des Lumières est présenté comme celui de l’intelligence humaniste, pas comme celui des illuminés dévots. Même si elle n’est pas à l’origine directe des révolutions intellectuelles de la fin du XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie, l’Art Royal, n’a pas vocation à être un support de dévotion réactionnaire et obscurantiste. Il a fallu attendre les antimodernes martinistes pour qu’aujourd’hui encore la frange réactionnaire des Loges plonge avec délice dans les mélodies de la séduisante musique d'une l’extrême droite qui ne dit pas son nom.
Pour eux, il suffit de montrer pour être.
L’information s’enregistre, elle ne se comprend pas, on ne fait pas d’exégèse.
Mais, gardons à l’esprit ce que disait Monsieur Spock : trouver les réponses aux mystères de l’Etre et de l’Univers par l’affirmation de l’existence aléatoire d’un personnage imaginaire est, pour le moins, illogique.