Les germes de l'illuminisme - bloc note
"Quod Ignis, aer, aqua, terra
Santcti Regnum et Reginarum nostrum cineribus,
erripere non potuerunt, fidelis chymicorum turba in hanc urnam contulit."
Christian Rosencreutz
Les textes présentaient une société secrète de médecins bénévoles, omniscients et dont le chef s'appelait Christian Rosencreutz ( en bonne traduction, il s'agit de Chrétien Rose Croix). La formule est importante parce qu'elle offrira un point de repère, une justification à l'intégration de la jeune franc-maçonnerie européenne dans une logique de filiation qui s'affirme chrétienne.
Le courant de pensée que l'on nommera « rose-croix » atteint son point culminant et gagne son appellation avec la publication de trois « manifestes rose-croix » entre 1614 à 1616 qui firent, pour la première fois, mention de cette fraternité en une période de tensions politiques et religieuses principalement marquée par l'instauration de grands empires et des protestantismes en Europe centrale. C'est aussi durant cette période que d'importantes avancées scientifiques virent le jour bien que les porteurs, souvent en but aux harcellements de l'inquisition dussent être particulièrement prudents.
Les divulgations ont pour titre : la Fama Fraternitatis et la
Confessio Fraternitatis, auxquels on joint généralement un autre texte : Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz. Le premier document, anonyme, comme les deux autres,
« Réforme générale et universelle du monde entier. Contenant la Fama Fraternitatis de l'illustre Ordre de la Rose-Croix », fut publié à Cassel en rhénanie, à l'imprimerie
de Wilhelm Wessel. Le succès fut immédiat et considérable, à tel point qu'une seconde édition de la fama fut presque immédiatement nécessaire. La « fama fraternitatis » fut
rééditée trois fois en 1615, deux fois en 1616, une fois en 1617. Elle fut traduite en néerlandais en 1616 et en anglais en 1617. Ce franc succès explique peut être que les premiers liens entre
les deux courants maçonniques et rosicruciens n'aient pas tardé car dès 1638, un poête écossais, Henry Adamson, assurait que tout était possible puisque la fraternité de la rosi-cross possédait
le mot des maçons et le don de double vue...Ce poème reste, en fait, la plus ancienne mention connue des deux termes de franc-maçon et de rose-croix associés. Pour ce qui concerne le nom de
franc-maçon, celui-ci était déjà connu depuis au moins 1376, date de sa première apparition connue dans une chronique relatant le rôle de "Nicholas le franc-maçon" dans l'évasion d'une prison. Mais, pour l'heure :
« For we be brethren of the Rosie Cross;
We have the Mason Word and second sight,
Things for to come we can foretell aright. »
Henry Adamson, The Muses Threnodie.
Cette « fama », « reformatio », n'était, en fait, que la reprise d'un texte italien : « Ragguadi di Parnasso ». Ce texte satyrique publié à Venise deux ans plus tôt, en 1612 est une critique malicieuse de la vanité des réformes. Il n'eut pas le succès de la « fama », très probablement à cause de son côté satyrique. L'allure « prophétique » du pamphlet rosicrucien convenait très certainement mieux avec l'esprit des réformes religieuses du temps. Il fut donc très vite remplacé‚ dès 1615, par sa traduction en allemand adjointe à la seconde édition de la « fama », chez le même éditeur. Le second texte publié en versions latine et allemande se nomme « Confessio Fraternitatis Rosae Crucis. Ad eruditos Europae. » (« Confession de la Fraternité de la R. C. Aux savants de l'Europe »).
On retrouve dans ces textes de nombreuses influences. Celles de la Kabbale juive notamment, ce qui semble naturel eu égard à l'importance des communautés juives à Cassel tout aussi bien à Görlitz où vécut Jacob Boehme près d'un siècle avant la publication des pamphlets et dont la théorie de l' « ungrund » n'est pas sans rappeler celle du tsim tsoum. L'esprit des illuminés arabes qui influencèrent tellement les Ordres Chevaleresques en terre sainte n'y manque pas non plus. Abd El Kadir Gilani, à Bagdad, au 12ème siècle, prêchait déjà la « Voie de la Rose » ( Sebil el Ouard ) auprès des Frères de la Pureté ( « Iruahou as'safah » ). Coïncidence ou volonté délibérée d'utiliser l'ambiguïté de la traduction afin de ramener la « voie » à la chrétienté, en occident, de nombreux copistes monastiques traduisirent « sebil » par « croix » argumentant souvent que ce mot ne signifie pas la même chose dans toute l'Arabie... Voie ou Croix... C'est aussi, selon la Fama Fraternitatis, en Arabie que Christian Rosencreutz, le héros-guru des manifestes, se rendit afin d'étudier et recevoir la Connaissance aux alentours de 1380.
L'ORDRE DE LA CROIX ROUGE
« A cette question : quand suis-je ? Il n'y a qu'une réponse :
je suis maintenant, tout de suite, ni avant ceci, ni après cela, juste maintenant. »
Proverbe Indien
C'est en 1616 que paraît, à Strasbourg, le texte majeur du rosicrucianisme : « Die Chymische Hochzeit Des Christian Rosencreutz ano 1459 » ( Les noces Chymiques de Christian Rosecroix en l'an 1459 ). Ce texte devient, lui aussi, un best seller et, dès son année d'édition, il connaît deux rééditions et une contre-façon.
C'est à partir de ce moment que les liens deviennent plus cohérents avec ce qui deviendra la Royal Society de Londres et, plus tard, la franc-maçonnerie spéculative, sur le continent ,et que l'idée autour de laquelle se retrouvent les hommes de science se raccroche à des racines.
Dans les Manifestes, Christian Rosencreutz était associé à un Ordre de Fraternité Médicale bénévole. Dans les Noces Chymiques, il est associé à un Ordre de Chevalerie sans que celui-ci soit nommé. La Croix Rouge du Symbole nous indique cependant suffisamment lequel.
Ces textes ne représentaient pas, en eux-même, le bouleversement qu'on leur attribuait, ils n'en étaient que l'expression concentrée. Bâtie sur le modèle oriental des neuf sages invisibles de l'Agartha et repris, bien avant eux, par Ramon Lulle dans son art si prisé des « scientifiques » élisabéthains. La Société des Rose+Croix, ou plutôt, le phantasme qu'elle développait dans les esprits du temps, allait être l'expression subliminale du changement social tout aussi bien que le point vernal du radicalisme religieux, contre-partie d el'illuminisme.
Les termes du changement sont connus depuis longtemps et les conséquences de l'explosion de la Renaissance européenne dans sa forme « illuminée » n'ont cessé de s'enrichir depuis le XVIème siècle à mesure que les historiens s'évertuaient à reconnaître les tenants et les aboutissants de la plus importante mutation sociale d'Europe Occidentale de l'histoire. En effet, les causes du progrès se déplacent, ce ne sont plus les seigneurs ou les prêtres qui en tiennent seuls les clefs, mais les clercs, les enseignants universitaires et une partie de la haute société européenne. Ils amèneront, par leurs remises en question successives de certitudes théologiques ou sociales, entre les 15ème et 17ème siècle, l'effondrement, au 18ème siècle, de la plus formidable machine d'immobilisme social : l'organisation par castes, socle du féodalisme qui commande toute la vie intellectuelle.
Alors même que l'essor urbain, fruit du libéralisme de la révolution industrielle, et la montée des bourgeoisies postulent de nouvelles exigences, alors même que l'université produit des intellectuels hors castes qui ne trouvent pas leur place dans l'organisation sociale, l'Église se sépare des ordres chevaleresques et maintient son emprise. Elle crée des ordres nouveaux, tout en conservant les pesanteurs de ses monastères, qui répondent mieux aux exigences de fidèles citadins qui accèdent de plus en plus à l'éducation... Ses nouvelles structures tiennent leur place et réorganisent l'espace social... comme les jésuites, les illuminés s'inscrivent dans la réaction radicale à l'athéisme ou au libertinage. Ils se glissent dans les emplacements laissés libres par les mythes templiers ou teutoniques. Trop riches, trop puissants, il a bien fallu les abattre faute de pouvoir lutter contre leur argent et les sapiences qu'ils ramenaient d'orient.
Mais n'était-il pas déjà trop tard alors que les mystères moyenâgeux laissaient progressivement la place à des pratiques artistiques ou ritualisées plus en plus nuancées, plus fines, plus élaborées, porteuses de messages cachés, de visions mystiques et de réalités traditionnelles et populaires, porteuses de politiques qui s'éloignent du dogme en vigueur et dont les ferments donnent aux hommes le besoin de se reconnaître, de s'associer. Une expression artistique bien souvent sous-tendue par une pensée nostalgiques des temps anciens et qui deviendra scientifique par l'invention de l'archéologie des « antiquarians » au XVIème siècle, une expression plus réaliste et plus humaine que divine même si elle ne reniait pas Dieu.
« Or donc », dit, vers 1530, dans son « Idea del Theatro », Guilio Delminio, « notre plus haut effort a été de trouver un ordre dans ces mesures, efficace, suffisant, distinct, et qui tienne toujours le sentiment éveillé et la mémoire percutée... Cette haute et incomparable collocation a non seulement la fonction de nous conserver ce qui nous a été confié de choses, paroles et arts... mais nous donne la vraie sapience... »
Après les affiches parisiennes de 1622 qui proclamaient : « Nous, Deputez du Collège principal des Frères de la Roze-Croix, faisons séjour visible et invisible en ceste ville, par la grâce du Très Haut vers qui se tourne le coeur des justes. Nous monstrons et enseignons sans liures ny marques à parler toutes sortes de langues des païs où voulons estre, pour tirer les hommes nos semblables d'erreur et de mort. » L'Église resserrera l'ordre du monde contre ce qu'elle a indirectement contribué à créer et le gouvernement fera tout pour empêcher la propagation de ce nouvel « ordre » sur le sol français. Le Diable n'est plus une menace post mortem, l'enfer devient présent parmi les hommes et cette déviance maudite porte désormais un nom : la science, synonyme de Sorcellerie. Chacun devra alors se méfier, ne pas confondre médecine et diablerie, progrès et sorcellerie. Les mots, la science, le savoir seront couverts et l'on redécouvrira la mesure du parler symbolique. Rien n'empêchera les questionnements, les recherches, mais, surtout, rien n'empêchera, après que l'Italie ait réinventé‚ le modèle antique pour en faire un canon artistique, un art de vivre, que l'Europe du nord se le ré approprie en lui donnant un lustre mythologique qui va jusqu'à s'introduire dans les arbres généalogiques des dynastie royales d'Europe. Vers imprévisible dans le fruit dogmatique chrétien rapporté de traditions qui n'en finissent pas de mourir.
La science n'est pas catholique par essence, les moines copistes ont fait ce qu'ils ont pu pour contourner ou faire contourner ce qui leur paraissait dangereux mais il a bien fallu qu'ils fassent bâtir leurs églises et organiser leur monde.
L'hystérie des chasses aux sorcières du 16ème siècle est probablement la guerre la plus meurtrière qui ait ravagé le continent il n'est donc pas à l'ordre du jour qu'on laisse la magie reprendre force sous d'autres aspects. On a pu dénombrer jusqu'à cinq cents bûchers par jour dans certains endroits. Il y eut près de 18 millions de morts en moins de deux siècles, et cela, pour lutter contre l'individualisme, le droit à la différence et le progrès scientifique alors même qu'il n'était qu'empirisme, alors même que le mouvement social ne contenait pas encore les ferments du libre arbitre et de la libre pensée et s'en remettait encore à Dieu pour expliquer l'inexplicable.
Ainsi, pendant les derniers siècles d'un moyen âge dont les livres d'histoire et les manuels scolaire nous ont tant rabâcher l'obscurantisme, l'Église catholique avait poussé à l'extrême son aptitude à adapter les mutations sociales pour les intégrer en son sein, les clercs allaient peu à peu devenir les protecteurs organiques d'un appareil politique qui ne cessera pas d'accroître son emprise sur les idées et les hommes. De religion humaine, la chrétienté deviendrait religion d'état et se poserait en garantie « sine qua non » de l'ordre du monde, de sa vérité et ce qui pouvait parfois être toléré en matière d'hérésies, comme les formes ritualisées de dévotions aux saint protecteurs des guildes et des paroisses, deviendraient objet de répressions parfois sanglantes dès lors qu'il n'est plus possible de séparer le pouvoir religieux du pouvoir d'état. Alors l'hérésie devient complot. A tel point que la guerre de trente ans, point d'orgue du 17ème siècle ne sera, derrière un prétexte religieux, rien d'autre qu'une tentative de démantellement par les Habsbourg, de tout ce qui peut ressembler aux prémices d'une unification politique parallèle au pouvoir. L'Allemagne en sortira exsangue, l'Angleterre sombrera dans les guerres internes issues de ses hésitations et la France préparera le Grand Siècle de l'absolutisme, c'est à dire à la fois les bases de sa Révolution et de son pendant, l'extrême droite réactionnaire.
LA CONNAISSANCE UNIVERSELLE
« Qu'est-ce que le Temps ? Quand personne ne me le demande,
je le sais ; dŠs qu'il s'agit de l'expliquer, je ne le sais plus. »
Saint Augustin
Les Confessions
C'est dans ce contexte post moyenâgeux qu'apparaît, en Allemagne, le courant Rose+Croix, philosophie nourrie au sein de l'école Pan sophiste de la connaissance universelle. La pensée se complet alors, comme durant les plus belles heures de la mystique romane, à placer l'Homme redevient le centre du monde.
Une sorte d'hollistique scientifique voit le jour peu à peu sur les traces des académies italiennes pour lesquelles, à la suite de Marcile Ficin, le beau peu mener au bien, une revendication polytechnique dont le principe fondamental est la croyance la démonstration d'une inter-relation entre le macrocosme ( l'univers, la terre) et le microcosme ( l'homme). On l'affirme donc, Dieu a créé l'univers de tel sorte que chaque élément se trouve être ... la fois la cause et l'effet d'un autre. Telles sont les règles de l'analogie, mais aussi celles de l'équilibre de la Création.
Le but de cette politechnique est d'acquérir la connaissance universelle en gravissant patiemment les sept degrés de l'initiation qui se retrouveront décrits symboliquement dans les « Noces chymiques ».
IESUS MIHI OMNIA
Mais, comment cela a-t-il commencé ?
Dans une Europe intellectuellement agitée, soumise aux indulgences et arrangée au quotidien par les frères Moraves et les Anabaptistes, après des guerres « hussites » meurtrières, un moine, envoyé à Rome en 1511 fut choqué par la dépravation qu'il y trouva. Les abus d'indulgences, proches du racket, la corruption et la cupidité des milieux ecclésiastiques font qu'ils revient en Allemagne ulcéré et reprend son activité première de prédicateur.
Tout aussi illuminé que son prédécesseur Praguois Jean Huss, Martin Luther car c'est de lui qu'il s'agit, entrera en conflit avec les autorités romaines et militera pour une religion plus austère, pour un retour sans ambiguïté et sans concession à la lettre des évangiles, Il clamera une religion bâtie sur plus de simplicité, ce qui ne l'empêchera pas de se prendre pour un prophète lorsqu'en 1520 il brûlera publiquement la bulle papale concernant son excommunication. Il clamera alors : « Puisque tu t'es opposé au Saint du Seigneur, deviens la proie du feu éternel. » Nul doute qu'il se prit pour un Saint, pour le moins, le seul porteur de la Vérité, d'ailleurs, aux questions que lui posera Erasme sur sa conception du Libre Arbitre il ne prit jamais la peine de répondre.
Cependant, ce mouvement d'humeur sera historique et consommera la naissance du Luthérianisme, tout aussi bien celle de ce que l'on nommera la Réforme en oubliant que d'autres comme Huss et Calvin l'avaient précédé.
Enfin, au coeur de l'Europe, on ouvrait la voie qui allait permettre à l'Angleterre, en proie à d'incessantes querelles avec les royaumes voisins, dont celui d'Ecosse, d'emprunter les voies de la séparation avec Rome. Séparation qui donnera, plus tard, de cruelles désillusions et mènera à la gabegie de la guerre de trente ans.
Mais tout cela représentait-il vraiment le fond de la pensée d'un Paracelse qui prédisait : « Dieu permettra une découverte de la plus haute importance, qui devra être secrète jusqu'à l'avènement de l'artiste Elie ».
La Réforme était-elle le tournant de l'histoire humaine dont il était question dès lors que Paracelse lui même, bien que reconnaissant en Luther un grand réformateur, restait catholique et préférait se tourner vers le Liber Mundi, c'est à dire l'étude des causes de l'Univers, le Livre du Monde. Il ne reconnaissait pas en Luther les qualités omni artistiques, entendez polytechniques nécessaires qui lui auraient permises d'être véritablement l'Homme du renouveau. Comme si de rien n'était, il continuait ses recherches malgré les interdictions de l'université quant à sa pratique de la médecine.
L'artiste Elie reste probablement une formule rappelant que l'art jouait un grand rôle pour la diffusion des idées dans la mesure ou cette expression reste le moyen le plus florissant du message symbolique, à tel point, de nombreux avis ont évoqué la possibilité que cette opinion de paracelse fut réellement une prophétie et que l'artiste ait été Elie Ashmole, membre de l' « antiquarian society » fondateur de la bodleian librairy d'Oxford et particulièrement connu pour les mentions de son initiation en franc-maçonnerie en octobre 1646. Les mystères édifiants des parvis ont enfin laissé la place à des oeuvres plus didactiques. Néanmoins, si, à cette époque, les sciences sont des arts, il est important de garder à l'esprit que Dieu en reste le virtuose. C'est, d'ailleurs ce que dira Jean Valentin Andréa, Théologien pourchassé par l'Inquisition, après avoir reconnu être l'auteur des manifestes Rose+Croix : « ce ne furent que ludibrium », entendez « plaisanteries », « amusements ». Mais ces amusements étaient-ils réellements innocents ?
Certes non, cependant les juges furent dupes de cette « plaisanterie » et Andréa se fit oublier, ce qui n'est pas le cas de la plaisanterie qui reste l'argument de tous ceux qui, sachant qu'il ont raison sur les doutes qu'ils expriment quant à l'existence réelle d'une société, vont jusqu'à nier l'impact culturel de l'illuminisme.
L'ILLUMINISME
« Rêver d'habiter dans une ville nouvelle et inconnue signifie
mourir
dans peu de temps. En effet, les morts habitent ailleurs, et on ne sait pas où »
Jérôme Cardan
Somniorum Synesiorum
Bâle 1562
Un des éléments les plus importants pour la compréhension de l' « illuminisme » de est la considération que chacun doit pouvoir avoir accès aux écritures. On doit tout apprendre à tous
quelle que soit son origine, et selon tous les points de vue, disait Johan Amos Comminski. Cette position est pour le moins révolutionnaire dans un monde gouverné par la chrétienté catholique qui
n'admet pas, on le sait, que les croyants puissent aller aux sources de la foi, c'est à dire l'Ancien Testament, sans y être accompagné.
Cette prise de position quant à l'éducation un élément de taille car il est le fondement de ce qui deviendra en Angleterre la Société Royale dont les membres fondateurs, professeurs émérites se battront pour que l'enseignement et les publications universitaires puissent être dispensés en langage courant. Plus tard, ils envahiront les Loges de maçons et finiront par créer la Grande Loge de Londres en 1717. Cette volonté d'enseigner et d'être compris, de permettre à chacun d'accéder au Livre contient aussi le germe de ce qui se traduira par la « religion sur laquelle tous les hommes s'accordent ».
L'Egalité de tous devant Dieu pourrait être le résumé des Constitutions d'Anderson, mais l'Egalité‚ de tous devant la science pourrait être celui des principaux fondateurs de la Grande Loge de Londres. Ces deux points de vue restant l'héritage des Rose+Croix.
LIBER MUNDI, LE LIVRE DU MONDE
« Nous avons déployé les signes pour ceux qui comprennent. »
Coran - VI, 97
Dans le prolongement de Giordano Bruno (1548 - 1600) qui substitua la physique de Copernic à celle de Ptolémée et une philosophie de la nature à la religion en place, Heinrich Kunrath, médecin à
Dresde, disciple de Paracelse, publie en 1609 l' « Amphitheatrum Sapientiae Eternae ». Cet ouvrage formera, avec la « Mona Hyerogliphica » de John Dee de 1564, dédiée à
Maximilien II, Roi de Bohème, le véritable support philosophique sur lequel l'idée que les réformes sociales puissent naître de la révolution scientifique pourra se développer.
Dee et Kunrath mettent en évidence, pour la première fois, le principe fondamental de la pensée panthéiste que développera John Toland en 1720 dans son « pantheisticon » : hors de la compréhension générale des causes et des mécaniques de l'univers, aucune évolution humaine importante ne pourra voir le jour.
Ces oeuvres insistent continuellement sur les concepts de macrocosme et le microcosme ou d'un Dieu immanent, à la fois omniprésent, omniscient et tout aussi bien dépendant de la fuite du Temps qui, seule, lui a permis de se déplacer dans le néant précédant la Création. Dieu est en tout et tout est en Dieux, disent-ils, comme les catholiques clament que tout est en Christ. Pour les uns, Christ est une part du divin intégrée dans la création et l'ensemble des traditions en sont la célébration. Pour les autre tout commence et tout s'arrête à Christ.... Au coeur de la rupture il ne reste qu'à espérer se réapproprier la foi. L'accent est mis sur la magie, la kabbale dont on saura adapter le perpétuel questionnement en une affirmation chrétienne et surtout l'alchimie. Toutes ces connaissances se combinent pour former une philosophie religieuse annonçant l'aube nouvelle de l'humanité, d'un nouvel humanisme.. Toute la phraséologie Rose+Croix se met en place entrainant avec elle, plus que l'ésotérisme chrétien, une nouvelle forme de pensée politique qui atteindra des sommets lumineux avant de se perdre dans le magma ésotérico-spirituel du XIXème siècle. Le concept de la sociabilisation chrétienne hors du pouvoir d'état qui correspondait si bien à l'acceptation de Frères non opératifs dans les Loges écossaises. Tout cela se construisait autour d'une utopique notion particulière qui tendrait à laisser accroire que la pens‚é Rose-Croix fut bâtie sur l'utopique retour à la pureté de la chrétienté des premiers temps fortement teintée de gnosticisme. Rien de surprenant à cela si l'on constate que tout ce discours rosicrucien s'adapte parfaitement aux écrits des penseurs arabes depuis le XIIIème siècle comme Ibn Khaldoun, véritable inventeur de la sociologie moderne.
Dès lors il faut être très prudent car le spectre de l'accusation de sorcellerie plane sur tout esprit scientifique. Tout ce qui est contre-pouvoir est dangereux et le voile du symbolisme, le masque de la chose cryptée rendra la plupart de ces ouvrages aussi difficiles à interpréter. Cette même raison de sorcellerie trompera jusqu'au bout les historiens et nous laissera penser encore aujourd'hui que les Keppler, Gallilée, Descartes étaient des esprits matérialistes et scientifiques tels que nous nous plaisons à le croire. C'est aussi ce qui fera croire à l'existence réelle de la société Rose+Croix totalement intégrée dans une société européenne où les sociétés secrètes commencent à se développer. Même ceux qui mettent en doute son existence la traite comme bien réelle parce qu'il est préférable de s'attaquer à un ennemi invisible mais réel plutôt qu'à une idée c'est pourquoi clercs affirmeront toujours l'existence réelle des Rose+Croix comme plus tard on affirmera l'existence d'un complot maçonnique.Tous les penseurs et les scientifiques de cette époque se rejoignent vers le coeur de la rose, à l'ombre de la croix. Certains pour blâmer cette idée universaliste, d'autres pour l'encenser, mais en fin de compte, on ne trouvera personne pour simplement l'ignorer et l'éclatement des Lumières des 17 et 18ème siècle ne peut s'expliquer sans ce fantasme rosicrucien.
SEBIL EL OUARD ( La voie de la Rose)
1598 verra la naissance de la « Milicia Crucifera Evangelica » à Nurenberg, véritable chevalerie mystique Rose Croix dont les théories les plus importantes seront exposées dans la
« Naometria » de Simon Studion, une étude sur le Temple d'Ezéchiel que l'auteur aurait dédié à Henry Iv, Roi de Navarre, qu'il considérait comme le nouveau David, le Roi des derniers
jours.qui devait restaurer l'unité de la Chrétienté avant le retour du Christ en 1604. Il s'agit encore d'un ouvrage se référant aux textes de John Dee, le Mage élisabéthain mais celui-ci, cette
fois, ramène sur le devant de la scène les ordres chevaleresques qui se transformeront un siècle et demi plus tard en franc-maçonnerie de stricte observance.
La chevalerie, code d'honneur des soldats du Moyen Age qui allie étrangement la charité chrétienne à la force. Trois grand ordre en naquirent : l'Ordre de Malte, l'Ordre du Temple et les Teutoniques. Tous les trois ont la même croix pour symbole mais seuls les Templiers et les Maltais portèrent la croix rouge, cette croix rouge à laquelle viendra s'adjoindre le vieux symbole soufi du silence : la rose. Mais est-ce bien ce vieux symbole qui est lié à la croix et non pas l'illustration du terme « ros » qui donnerait alors au signe le sens de « croix rouge » selon le sens alchymique de la monade hyérogliphique de John Dee. Cela donnerait aussi tout son sens chevaleresque au symbole. De même, cela expliquerait la couleur du sceau de Luther : un coeur surmonté d'une croix inscrits dans une rose. Et le hasard fécond permettra que les armes de Jean Valentin Andréa soient une croix de Saint André accompagnée de quatre roses !
Les symboles sont, par nature, ambivalents et l'on peut tenir compte de toutes les idées, mais que faut-il penser des origines du mythe rose croix omni présent au coeur de la « réformation » de L'Europe ?
- La croix rouge et les roses, symboles de Saint George d'Angleterre,
- Les mêmes symboles de l'ordre de la jarretière dont sera décoré l'Electeur palatin lors de ses noces avec Élisabeth Stuart, fille de Jacques premier, successeur D'Élisabeth première.
- La Croix de Saint André‚ des Chevaliers du Chardon et de Jean Valentin Andréa,
- Les armes de Luther,
- La croix des Templiers.
Toujours cette croix rouge, cette Rose Croix.
LES MACONS D'ECOSSE
« Mais un jour vint où les Rose+Croix eux-mêmes durent quitter l'occident, dont les conditions étaient devenues telles que leur action ne pouvait plus s'y exercer... »
René Guénon
Les Gardiens de la Terre Sainte.
Depuis la fin du 15 siècle, les Loges maçonniques d'Ecosse comptent des maçons acceptés parmi leurs membres. De jeunes nobliaus terriens dont la position sociale intermédiaire ne permet pas
toujours de participer aux destinées de la ville ou du bourg, acceptés dans les loges pour leur éducation est leurs qualités qui permettent de conserver les points de rencontre des bâtisseurs
itinérants. Le maçon ne reste jamais longtemps au même endroit, il va de chantier en chantier et les acceptés gèrent les lieux et leur rayonnement. Jacques premier lui même, en devenant Roi
d'Angleterre, avait placé son confident, William Schaw, à la tête des maçons Anglais comme « General Warden and Master of Work » en 1583 afin de fédérer la gestion des Loges. De même,
en 1593, il constituera la « Rose Croix Royale » avec trente deux Chevaliers de Saint André du Chardon, raliant ainsi les chevalier d'Ecosse à l'Angleterre.
William schaw fut l'un des deux premiers codificateur de la maçonnerie écossaise par l'édition de statuts généraux en 1598. A la suite des Sinclair, le nouveau Grand Maître était lui même un maçon accepté.
Comme, encore une fois, un lien, une arche qui franchi L'Europe d'est en ouest, les armes germaniques arborent la croix rouge, privilège exclusif des Templiers, celles d'Ecosse, 4 roses, les Chevaliers du Chardon de Saint André d'Ecosse sont présents en Angleterre et auprès de la Maison de Hesse-Kassel, l'‚électeur Palatin est décoré de l'Ordre de la Jarretière.
Les pièces du puzzle sont en place pour des noces chymiques qui enflameront le coeur du continent. On sait comment elles finiront.
C'est ce même Jacques premier Stuart qui mariera sa fille Elisabeth à l'Electeur Palatin futur Roi de Bohème en Février 1613. Ce mariage à Heidelberg restera sans aucun doute la plus fantastique expression de luxe panthéiste et, selon les chroniques, la mise en pratique d'un grand nombre de théories scientifiques, notamment en ce qui concerne la mécanique des fluides.
Il restera aussi la plus fantastique duperie . Chacun, dans les cour d'Europe, avait compris que les Réformateurs anglais, fondateurs de la rupture avec Rome, s'alliaient avec les Réformateurs Palatins pour faire face aux Habsbourg. La bataille de la montagne blanche, la fuite de l'Electeur devenu alors roi de Bohème et l'immobilisme anglais durant la guerre de trente ans démontreront l'ampleur de l'erreur. Ce n'est pas un hasard si les jardins et le palais d'Heidelberg furent pratiquement rasés par les troupes papistes. Le soulagement Catholique s'exprimait par la destruction des oeuvres.
Jacques Premier n'ntervengagea pas l'Angleterre à déméler le conflit, ainsi, il scella le destin de son gendre et celui de l'Europe des Lumières naissantes.
LA REFORME GENERALE
Ignis Natura Renovatur Integra
A partir de 1613 toutes sorte d'utopies furent publiées, toutes sortes d'ouvrages décrivant des mondes imaginaires organisés autour de cette pensée scientifique humaniste très imprégnée des enseignements du nouveau testament.
Ces ouvrages annoncent la « réforme générale » et le « renouvellement de la Terre ». Ils portent tous, nettement imprimés, ces symboles prophétiques d'une science naissante : une rose rouge fixée au centre d'une croix, rouge elle même, « car elle a été éclaboussée par le sang mystique et divin du Christ » elle est aussi l'Homme fécondant la Femme, l'acte créateur actif, un mystère jamais élucidé.
Ainsi réapparaissent, avec l'esprit scientifique qui anime le panthéisme, immanentisme ambiant, les propos de Saint Augustin : « Nous chercherons donc comme si nous allions trouver, mais nous ne trouverons jamais qu'en ayant toujours à chercher ».
La rougeur de cette rose et de cette croix ne seraient elle pas, en fait, celles du feu alchimique, du sang symbolique du Christ ( symbole masculin ), énergie du Dieu omniprésent, répandu dans un vase ( symbole féminin ) dont la nature même provoquera la régénération totale de toute chose ?
LE MOT DE MACON ET LA DOUBLE VUE
Ordo Ab Chaos
Mais le monde va basculer dans le bruit des batailles et le lien entre les Stuarts et le Palatinat va être dévoré par l'Empereur Ferdinand II de Habsbourg en 1620 durant la bataille de la Montagne Blanche en bohème scellant dans un sinistre « conte d'Hiver » la fois le destin du roi de Bohème, les aspirations de réintégration des êtres et des cultures, les mythologies rurales et les illusions de l'Europe centrale en matière d'utopie et de libre arbitre. Thomas Moore n'est plus et les Frères Invisibles se terrent. La répression papiste est en marche. L'Europe se plonge dans un bain de sang qui durera trente ans. Et même ses « discours sur la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences » n'empêcheront pas un Descartes de poursuivre l'illusion Rose Croix jusqu'aux pays bas, à la cour exilée de la Reine de Bohème.
Bien que les textes maçonniques écossais reflètent les idées Rose Croix dès le début du 16ème siècle, il faudra attendre jusqu'en 1638 pour que le lien soit affirmé pour la première fois. Venus par d'Angleterre, ils redescendent par l'Ecosse, sur les bord de la rivière Tay, là où se trouvent les plus anciennes Loges de maçons acceptés.
Un an après la publication du discours de la méthode, deux ans après l'entrée de la France dans la Guerre de Trente ans, le poète écossais Henry Adamson affirme les liens entre les maçons et la Rose+Croix dans ses « Muses Threnody », paru en Écosse et laisse clairement entendre que la possession du Mot de Maçon est la clé de tout les mystères :
« Or, nous ne faisons pas de pr‚dictions en l'air,
Car nous sommes frères de la Rose Croix ;
Nous avons le Mot du Maçon et le don de seconde vue,
Et nous pouvons prédire exactement les choses à venir. »
A la frontière nord entre l'Angleterre et l'écosse, en 1646, à Warrington, un des plus éminents mathématicien, philosophe, linguiste, penseur, scientifique, le créateur de la Bibliothèque
d'Oxford, membre fondateur de la Royal Society : Elias Ashmole est initié Franc-Maçon à 16 heures.
Mais ceci est une autre histoire...
