la branche d'Acacia qui était plantée sur la fosse de notre M.·..
« Selon la grâce de Dieu qui m'a été donnée,
j'ai posé le fondement comme un sage architecte,
et un autre bâtit dessus.
Mais que chacun prenne garde à la manière dont il bâtit dessus. »
1Co 3:10
« D... Êtes vous Maître ?
R... Approuvez moi, désapprouvez-moi si vous le pouvez,
l'Acacia m'est connu1. »
Cette forme des devoirs de la maîtrise est, d'ailleurs, assez ancienne puisqu'on en trouve l'une des premières traces dans les premiers statuts de William Schaw (1549 -1602). On sait que ce dernier était Maître des Travaux du roi Jacques VI d'Écosse3, responsable de la construction, de la réparation et de l'entretien des palais royaux, des châteaux et de toute autre propriété du royaume d'Écosse fut le premier à mettre au point une réglementation spécifique aux maçons de métier et différente de celle des guildes. Il fut aussi le premier à préciser ce qui se présente comme une forme importante de lien avec l'antiquité et pourrait bien être l'un des objets de la franc-maçonnerie spéculative dans son ensemble, c'est à dire, l' « art de la mémoire4 ». C'est plus particulièrement dans la seconde édition des statuts que la référence prend une grande importance. L'enseignement de l'art y est confié au « Surveillant » de la Loge de Kilwinning.
« Que le « Surveillant » de la Loge de Kilwinning, devenue la seconde Loge d'Ecosse, prenne en charge l'art de la mémoire et sa science, et chaque Compagnon et chaque Apprenti conformément à leurs vocations5... »
Il s'agit, à ce point du parcours maçonnique, de faire équitablement la part des choses. L'Art de la mémoire, selon la légende, fut inventé en Grèce par un poète du nom de Simonides de Chéos. Alors qu'il participait à un banquet, le toit de la maison s'effondra durant son absence et lui seul fut capable de nommer les corps en se rappelant exactement où ils étaient placés. Il comprit alors la disposition des choses dans leur environnement était la clef de la mémoire6. Ainsi, construire par la pensée un palais imaginaire appelé « palais de mémoire » et dont chaque pièce contient des images ou des objets qui permettront de se remémorer l'ensemble des événements. Les ouvrages sur ce sujet, depuis l'antiquité, insistent sur la nécessité de se donner des images actives, fortement signifiantes qui, par leur caractère singulier, inaccoutumé, seront une aide puissante à la mémorisation. Il suffira donc de se promener de pièce en pièce, porté par l'imagination. C'est ainsi qu'à l'époque romaine, les orateurs se remémoraient leurs discours. Au Moyen Âge, cette technique ancienne évolua et servit de modèle aux architectes des guildes, fortement influencée par les légendes chrétiennes et bibliques, le palais de mémoire fut tour à tour identifié aux édifices de la Bible ; le Tabernacle, le Temple de Salomon, la vision du temple d'Ézéchiel. Pour les maçons dont chaque légende édifiante se ressourçait au cœur de l'Ancien Testament, il est bien évident que l'archétype du Palais de mémoire est le Temple de Salomon, son chantier, sa construction, mémoire de la foi et de son architecture sacrée.
Avec le temps, les cérémonies se sont modifiées, elles sont passées de la lecture édifiante à la pratique rituelle et elles ont intégré les voyages à l'intérieur du bâtiment, de sa coure, de ses parvis. Certaines rituélies de hauts grades se déroulent même dans plusieurs chambres, mais chaque voyage, chaque degré garde son objet mémoriel et, bien entendu, l'objectif d'un apprentissage par degrés reste identique.
Les sciences qui ont été transmises au cours des différents parcours avaient pour objet d'amener au franchissement du seuil des nombreuses pièces de ce palais imaginaires plusieurs fois construit et détruit et dans lesquelles se trouvent les éléments permettant de bâtir les répliques du Temple, qu'il soit de pierre ou d'âme et de progresser dans la pratique de la maçonnerie. Il s'agit, en effet, de vivre avec ces outils et non de les reproduire, de connaître le monde tout en conservant la plus grande part de sa faculté de mesure. Il est question ici d'art de vivre, d'éthique, de remémoration et non du « par cœur ». Elles avaient aussi pour objet de permettre au maçon de se retrouver dans le labyrinthe de la Connaissance, de participer à une forme de transmission qui deviendra rituelle et qui permet à celui qui le pratique de vivre avec ce qu'il connaît, de se « remémorer » le catéchisme parce qu'il est logique et productif de richesse et non parce qu'il est impératif de le savoir. Les rituels n'ont qu'un seul objet : favoriser le partage. Seule la Connaissance ultime reste à découvrir au cœur du Temple et ce savoir ne peut être que la Vie. L'Acacia est un arbre imputrescible et pour cela sacralisé depuis la plus haute antiquité, mais plus encore, ce n'est qu'à partir du troisième degré qu'il fait son apparition dans le thésaurus maçonnique. L' Homme pourra se concevoir dès que la mémoire de la Genèse lui sera revenue. C'est au troisième jour que l'Eternel fit les plantes et sur les tableaux de Loge au grade de Maître il n'est qu'une plante et l'attente d'un homme.
Dès lors que le mystère est levé sur les fondations architecturales, chacun peut venir construire, sur cette charpente, la demeure des choses mémorisées, c'est à dire les sens ( perceptions, attitudes, sentiments... ), recherche des Apprentis, les Paroles ( les « dires » et les « discours » ), celle des Compagnons et les Constructions ( événements, architectures...) pour les Maîtres. Chacun doit alors, comme le disait Saint Paul, prendre garde à la manière dont il construit et chacun se doit de placer dans chaque pièce parcourue les éléments qui lui permettront de franchir les étapes de la progression. Sur chacun des seuils, il faudra faire la part des choses entre l'individuel et le collectif... Chaque échelon marquera le chemin conduisant au niveau suivant et l'on s'apercevra, à chaque fois, que les légendes de l'ancienne franc-maçonnerie mènent toutes vers un même objet et se présentent comme le plan d'un récit constitutif inspiré de l'Ancien Testament et permettant de comprendre non seulement les moyens de l'œuvre, mais aussi son message. Ce constat laisse à penser que la maçonnerie plonge ses racines dans la plus haute antiquité, mais aussi que ses rituels ont succédées aux légendes mythiques et non l'inverse. Avec la construction d'un Temple de mémoire, l'existence du mythe d'Hiram devient claire, de même que la fin de l'histoire. En effet, si l'on suit le cheminement, d'une chambre à l'autre, on peut en conclure qu'Hiram devait nécessairement mourir puisque son œuvre d'architecte était terminée. « j'ai posé le fondement comme un sage architecte, et un autre bâtit dessus », écrivait Saint Paul, D'autres Maîtres continueront l'ouvrage .
Selon la plupart des rituels, les assassins d'Hiram marquèrent « le lieu de la sépulture d'une grosse branche d'un Acacia pour reconnaître l'endroit où ils mettaient le cadavre, dans l'intention de venir le prendre la nuit suivante et le transporter dans un endroit plus éloigné7 » et c'est ensuite, durant la recherche, en s'appuyant sur une branche d'Acacia que celui qui découvre la tombe constate que la terre au pied de l'arbre a été fraîchement remuée. Dans tous les cas, cet usage de la plante et la découverte du corps s'effectuent avec le même objectif de mémorisation. On veut se rappeler l'emplacement, le lieu et l'on cherche aussi à se souvenir de la Parole perdue, comme il est précisé, par exemple, dans le rituel de la Mère Loge écossaise d'Avignon8 :
« D... Comment la parole fut elle perdue ?
R... Par la mort de notre R.·. M.·.
D... Comment la parole fut elle retrouvée ?
R... Par la branche d'Acacia qui était plantée sur la fosse de notre M.·.. »
Il s'agit, soit de ce rappeler ultérieurement de l'acte et de l'endroit, soit de re-découvrir ce qui était connu de tous, c'est à dire la mort du Maître. La fleur, la branche, est ici présentée comme une image polysémique contenant à la fois la question de l'universalité et celle du sujet. Il n'y a rien ici, comme dans d'autres clés symboliques de la maçonnerie qui corresponde aux images classiques destinées à éveiller la mémoire ou à en indiquer les outils par des symboles frappants. Le psychodrame associé au grade de Maître forme à la fois un tout et une mosaïque en une sorte d'interaction fructueuse entre l'art de la mémoire et les arts libéraux, une sorte de mouvement d'alternance. Au sein de la Loge, l'Acacia est à la fois représenté physiquement, graphiquement et verbalement. On place une véritable branche sur le cercueil ou sur le drap pour la cérémonie, on la dessine sur le Tableau du Grade pour les rites qui en disposent et l'on affirme qu'on le connaît, comme si autour de cet axe trinitaire se développait un labyrinthe qui renvoie le Maître au cabinet de réflexion en lui rappelant, à chaque étape, à chaque feuille de la branche, la marche a suivre et ce qu'il a appris. Dans certaines régions, on utilise la feuille de l'Acacia pour tisser la comptine des amoureux en égrainant chaque foliole. A chaque feuille reprennent l'alternance des doutes et des certitudes. Nous sommes donc ici en présence d'une catégorie symbolique particulière qui tire ses développement sur toutes les dimensions, à la fois souffle, plan et volume. Pensons à la polytechnique du moyen âge et à ses schémas de construction qui reflétaient toute la connaissance disposée en modules statiques dans l'art classique de la pierre. Nous sommes, à l'opposé, avec l'Acacia, en présence d'un symbolisme en mouvement qui passe de la simple position de signe mnémonique à celle d'un outil de conviction transporté dans la main de celui qui a reconnu le Tombeau d'Hiram.
Qu'une branche d'acacia ait été plantée sur le monticule qui recouvrait son corps indique dès lors, précisément que la vie est encore présente à travers l'acacia, mais aussi, et surtout, elle devient le signe mnémotechnique de la présence de l'Architecte.
Qu'elle soit au cœur du Temple ne fait pas non plus de doute, en effet, c'est là que luit la Lumière.
1 Rituel du 3ème Grade de la Mère-Loge écossaise d'Avignon - 1774 ( Bibliothèque du musée Calvet).
2 Quodvultdeus, compagnon d'Augustin d'Hippone ) cité par Mary Carruthers in « Machina memorialis » Paris - Gallimard 2002.
3 « Master of Work to the Crown of Scotland ». On notera au passage que William Schaw n'a jamais porté le titre de Grand Maître. Il était Maître des maçons. Pour plus de détails on se reportera à l'ouvrage de David Stevenson. « The First Freemasons: Scotland's Early Lodges and Their Members ». Aberdeen: Aberdeen University Press, 1988. « Les premiers francs-maçons. Les loges écossaises originelles et leurs membres ».Ed. IVOIRE-CLAIR. Paris 2000.
4 Sur l'Art de la mémoire, on se reportera aux ouvrages de Dame Frances Yates, notamment « l'Art de la mémoire » - Paris - Galliamrd - 1987 et mary Carruthers op. cit.
5 « That ye warden of ye lug of Kilwynning, being the secund lug in Scotland, tak tryall of ye airt of memorie and science yrof, of everie fellowe of craft and everie prenteiss according to ayr of yr vocations... » - Schaw Statutes 28 Décembre 1599.
6 Cf. note 4
7 Rituel dit « Duc de Chartres » - 1784
8 Cf. note 1