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Truthlurker recherches et symboles

La pierre au Nord-Est

17 Novembre 2006 , Rédigé par Lurker Publié dans #Initiations

 

« Was draußen ist, wir wissen aus des Tiers Antlitz allein »

 

( Ce qui vient du dehors, nous le savons par le visage de la bête ) "

 
R.M. Rilke
 
 

L’Apprenti, devra s’approprier les outils de la démarche initiatique en observant un silence propre à la gestation, au travail intérieur, qui sera symbolisé par sa vison de la Lumière et qui lui permettra de poser les bases de sa construction intérieure. C’est ce que l’on appelle « tailler la pierre brute». Cette démarche intérieure est particulièrement rappelée dans le déroulement du rituel d’initiation au « Rite Français, dit moderne » :

« Vous apercevez également les trois bijoux immobiles de la Loge: la Pierre brute, la Pierre cubique à pointe et la planche à tracer. Parmi ceux-ci, la Pierre brute est, mon cher Frère, un emblème qui s’adresse particulièrement à vous. C’est sur elle que vous avez commencé d’exécuter votre travail d’Apprenti Franc-Maçon. Ce travail est le premier et le plus nécessaire de la carrière maçonnique. Poursuivez-le avec zèle afin de donner un jour à cette pierre, qui n’est autre que vous-même, la forme parfaite que le Grand Architecte de l’Univers lui a destinée. »

Symboliser l’Apprenti maçon de cette manière, par une « pierre brute » confirme à la fois son identification rituelle à l’archétype humain des origines et la répétition collective du mythe des origines à chaque initiation ce qui représente la garantie, pour le groupe, de sa valeur symbolique.

De plus, « pierre brute » est aussi le nom que l’on donne au pain durant les banquets d’ordre du Rite Ecossais Ancien et Accepté ce qui confirme une nouvelle fois le lien entre l’Apprenti, entre l’Apprenti et la Parole, entre l’Apprenti et la chose nourricière [1].
Cette pierre brute est traditionnellement posée, dans le Temple maçonnique, à l’angle nord-est. Le rituel « Emulation » de la Grande Loge Unie d’Angleterre le précise d’ailleurs explicitement durant la cérémonie d’initiation.
 

 “It is customary, at the erection of ail stately and superb edifices, to lay the first or foundation stone at the N E corner of the building. You, being newly admitted into Masonry, are placed at the N E part of the Lodge figuratively to represent that stone, and from the foundation laid this evening may you raise a superstructure perfect in its parts and honourable to the builder.”

 

 « Il est habituel, lors de l’érection des édifices monumentaux, de poser la première pierre ou pierre de fondation à l’angle Nord-Est du bâtiment. Vous qui venez d’être admis en maçonnerie, êtes placés au Nord-Est de la Loge afin de représenter symboliquement cette pierre. Elle sera la pierre de fondation de cette soirée et vous permettra de construire une structure parfaite en toutes ses parties et qui fera honneur à son constructeur[2]. »

Le manuscrit de l’ « Edinburgh Register House » ( 1696 ) nous confirme cette position Nord-Est :
« Q11 - N’y a-t-il pas des lumières dans votre loge ?
Rép : Si, trois : le nord-est, le sud-ouest et le passage de l’est. L’un désigne le maître maçon, l’autre le surveillant, le troisième le compagnon. »
 

 Cette pierre correspond à la pierre d’angle d’un édifice. Symbole messianique important, la « pierre d’angle » désigne ce qui sera l’image de la stabilité de l’édifice et qui permettra sa construction [3] « Voici que je vais poser en Sion une pierre, une pierre de granit, pierre angulaire, précieuse, pierre de fondation bien assise : celui qui s'y fie ne sera pas ébranlé. » ( Is 28 16 ); et le fait qu’elle figure l’ « Apprenti entré » confirme bien la position de celui-ci comme garant de la continuité du groupe et potentiellement comme l’une des sept lumières qui fondent une loge juste et parfaite ( « …sur cette unique pierre, il y a sept yeux » Za 3, 9 ). Le jeu des questions-réponses des « catéchismes » d’Apprenti nous rappelle la composition de la Loge, au Rite Français dit Moderne, par exemple :

 

« Vénérable Maître : Frère Second Surveillant, où avez-vous été reçu?

Second Surveillant : Dans une Loge juste et parfaite.
Vénérable Maître : Que faut-il pour qu’une Loge soit juste et parfaite?
Second Surveillant : Trois la gouvernent, cinq la composent, et sept la rendent juste et parfaite. »
 

Tout aussi bien, la légende de l’Apprenti de « Roslin Chapel », rappelée en tête du présent chapitre, indique, elle aussi, de manière formelle l’identification du « chef d’œuvre » par le Silence car c’est « celui qui se tait » qui réalise l’œuvre et le fait qu’il soit tué amène à la perte de l’Art.

Il est important de rappeler combien l’Apprenti franc-maçon est parfois isolé des droits les plus élémentaires de la maçonnerie, à tel point que certains pensent, comme le Maître jaloux de Roslin, qu’il est bon de faire perdurer cette situation dans le monde profane, c’est à dire après la clôture des travaux et de considérer Monsieur X ou Madame Y comme « Apprentis ». Nous ne saurions trop rappeler que « tout est symbole » et qu’en toute chose juste mesure est bonne.
Quand les portes du Temple se sont refermées sur la clôture des travaux… il ne reste que les êtres humains égaux par définition.
 

Le symbole de la pierre d’angle nous le rappelle : « N'avez-vous jamais lu dans les Écritures : la pierre qu'avaient rejetée les bâtisseurs c'est elle qui est devenue pierre de faîte… » ( Mt 21, 42 )[4] car il s’agit bien de comprendre que ce nouvel arrivant sera le Vénérable Maître de demain. Ce symbole de la pierre est symptomatique de cette relativisation des rôles chère à la maçonnerie. Comme le Vénérable deviendra couvreur, c’est à dire qu’il passera de l’Orient à l’Occident avant de retourner « sur les colonnes ». C’est à dire qu’il redeviendra un simple maçon ; un « Apprenti ». Le néophyte qui le remplacera est de cette substance brute de laquelle sera tiré la matière première au cœur de l’athanor. Cette pierre d’angle qui désignera le Christ dans le Nouveau Testament désigne nécessairement le renouveau dans l’architecture d’une Loge. Il est essentiel de méditer sur ce symbolisme christique parce qu’il instruit sur l’alternance du monde et particulièrement sur la résurrection première[5] , celle qui précède la vie. Il doit être mis en relation avec l’appellation « fils de l’homme » qui donne au nouveau maçon le rôle d’ « Homme archétype », l’Adam dont nous avons déjà parlé plus haut. Ainsi l’existence du néophyte est justifiée par le lien qu’il est possible d’établir entre son être et le récit des origines.

On sait et on le verra encore que ce récit est symbolisé rituellement dans la cérémonie d’initiation. Cette situation du lien nécessaire entre la Création et la cérémonie d’initiation qui se déroule est une constante des sociétés traditionnelles dans lesquelles chaque individu doit revivre le récit hors du Temps, « in illo tempore », de sa filiation, de ses origines divines, pour prétendre à l’existence. Bien entendu, le nouvel Apprenti ne peut être considéré comme un « nouveau né » que dans la mesure où cette filiation existe, il s’agit d’une initiation rituelle et non d’une régression sociale psychologique conséquence d’un bizutage.
 

 Donner une place au nouvel arrivant, constater que la Chaîne d’Union s’agrandit d’un nouveau maillon revient à constater que le groupe se complète naturellement « puisque vous êtes, vous aussi des pierres vivantes, édifiez vous pour former un Temple spirituel » ( 1P 2, 5 ).

Le Temple spirituel et la Chaîne d’Union désignent l’égrégore obtenue par la répétition de la Création dans le Temps sacré, la « ré-initialisation » de l’énergie fondatrice de l’identité du groupe. « Ainsi donc, vous n'êtes plus des étrangers ni des hôtes ; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu. » ( Eph. 2, 19 ). Ce qui devient, en langage maçonnique, l’expression de la « Chaîne d’Union » :
« Cette chaîne nous lie dans le temps comme dans l’espace; elle nous
vient du passé et tend vers l’avenir.
Par elle, nous sommes rattachés à la lignée de nos ancêtres, nos Maîtres vénérés qui la formaient hier; par elle doivent s’unir les Francs-Maçons des tous les rites, de toutes les races, et de tous les pays.
Enrichissons la de nombreux anneaux de pur métal et, levons nos esprits vers l’idéal de notre Ordre, efforçons nous de rapprocher tous les hommes par la fraternité[6]. »
 

La place occupée par la pierre et l’Apprenti correspond au faîte de l’ombre portée de la Colonne du Midi lorsque le soleil entame sa descente vers l’horizon, cette ombre donne la position de la Loge Nord-Est par laquelle, dans le Temple, « on descendait dans la Chambre du Bain. Celui qui descendait s’immerger, parcourait à partir de cette loge un couloir souterrain qui traversait tout le Temple. Des bougies y étaient allumées de chaque côté, jusqu’à l’entrée de la Chambre du Bain [7]. ». Dans la mesure où le bain rituel est celui dans lequel devait se plonger les prêtres devenus impurs, il est aisé de faire le rapprochement entre la place Nord-Est et, d’une part la pureté, d’autre part, le baptême.

Elle correspond aussi à la ligne de séparation entre la Terre et l’Air[8] au moment du crépuscule, c’est à dire la fin du jour, la Saint Jean d’Hiver, qui sont les deux éléments fondamentaux de la Création.
 
Un Temple se construit selon certaine règles, la principale est son orientation est-ouest. Elle est déterminée en plantant un bâton dans le sol. Le soleil à son levant indique, par l’ombre portée, la direction de l’ouest au jour correspondant à la divinité dédiée en fonction de la dédicace du Temple. Par exemple, Saint Jean Baptiste, l’orientation offrira une orientation est-ouest correspondante au solstice d’été. A une autre date, l’ombre prendrait une autre forme et la dédicace serait inopérante. Le soleil, en se couchant sur le Temple déterminera, dans sa course des zones d’ombres et de lumières avant de disparaître, l’ombre fine portée sur la pierre angulaire en sera la démarcation tout autant que l’indication de la voie à suivre pour le néophyte initié, Homme fini qui devra renaître, comme le Soleil, c’est à dire vers l’orient où sera établi le Saint des Saint, la zone grise, ni blanche ni noire, entre la Terre et l’Air.
Le Manuscrit « Dumfries » ( manuscrit n°4 +/- 1710 des archives de la Loge Dumfries Kilwinning n°53 ) donne de l’orientation de la Loge, une vision intéressante dans la mesure où elle fait un lien entre les directives de David pour la construction du Temple, mais aussi avec l’Arche d’Alliance.
 

 « Q -De quelle façon est disposée votre loge ?

R - D'est en ouest, parce que toutes les églises et temples sacrés sont ainsi disposés, et particulièrement le Temple de Jérusalem.

Q - Hiram n'aurait-il pu poser les fondations du Temple du sud au nord plutôt que de l'est à l'ouest ?

R - Non, il ne le pouvait pas.

Q - Donnez une raison à cela.

R - David prescrivit que les fondations du Temple fussent posées sur un emplacement, comme vous pouvez le lire dans la Sainte Bible, où elle est dénommée l'aire d'Ornân le Jébuséen ".

De même, vous pouvez lire dans les Saintes Écritures que l'Arche du Seigneur, en laquelle était renfermée l'Alliance entre Dieu et les hommes ainsi que les deux Tables de marbre avec les Dix Commandements écrits du doigt de Dieu, fut retenue par malchance un temps considérable sur l'aire d'Ornân, ce qui obligea à poser les fondations d'est en ouest conformément à la position des deux Tables. »
 

L’Apprenti serait-il celui qui garde l’Arche en Silence[9]  ?

 Contentons nous ici de considérer que l’Homme dans le récit de la création, accompagne le Soleil. Il prend en charge la Lumière du jour de midi à minuit, redessinant le Temple en dehors du néant symbolisé par les Ténèbres, assurant ainsi la pérennité de sa présence « De même que le soleil rayonne à travers le monde, ainsi fait la Shekhinah » ( Sanhédrin 39a). C’est, en substance ce qui peut être compris de la phrase du rituel de fermeture des travaux au grade d’Apprenti qui précise au Rite Ecossais Ancien et Accepté que les « ouvriers n’aspirent pas au repos et porteront vers l’extérieur les Vérités qu’ils ont acquises».
Créé, comme Adam, pour exister, l’ Apprenti est doté de libre arbitre, dont les éléments constitutifs seront définis rituellement par sa place ( le jardin à l’angle nord-est du Monde) et la reconnaissance qu’il en tire plus que par ses contraintes ( une partie du jardin est interdite ). Pour le Compagnon, il s’agira de se mesurer plus complètement à l’art difficile de la construction en visualisant son objectif et en ayant l’impression de s’être approprié assez d’outils pour le faire. C’est ainsi que l’on ne demandera plus pour lui la « Lumière », mais, il « verra » l’Etoile et « polira la pierre ».
 


 
 

 

 

 


 
 

[1] Il y a, bien enetendu, un lien entre la Parole, la « chose bonne à manger » et le « blé », mais, sur ce dernier point, une exégèse plus détaillée nous amènerait à sortir de la symbolique du Grade d’Apprenti. Il est néanmoins important de constater à quel point un grand nombre de symboles du Grade mène à une étude du degré suivant, cela aurait tendance à confirmer que les deux premiers grades n’en forment, en fait, qu’un seul.

[2] Rituel Emulation – 1986 – Lewis Masonic Ldt - London – trad Lurker

[3] On prendra garde à ne pas confondre la stabilité de la construction avec l’achèvement de celle-ci. Nous parlons ici des fondations de l’édifice, non de la « clé de voûte » dont il est question au grade de Compagnon.

[4] On retrouvera cette même symbolique de la pierre dédaignée qui devient pierre de faîte, la pièce maîtresse de l’édifice dans ( Ac 4, 11 ) ; ( Rm 9, 33 ) ; (1 P 2, 4 )

[5] Cf Evangile de Philippe, Op. Cit.

[6] Rite français dit « Groussier ».

[7] Maimonide : Lois du Temple de Jérusalem. Beth Hamikdach – Lois de la Maison d’Election, Chapitre 5. Trad. Aharon Altabé

[8] Nous aborderons ce point plus en détail dans le chapitre suivant.

[9] Le grade maçonnique dont il serait alors question ne relève pas des Loges Bleues.

 

 

 

 

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