Installation du Maître, le Maître Installé et ses trois jauges, le fil à plomb, le niveau et le plan
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2Rois 21:13
J'étendrai sur Jérusalem le cordeau de Samarie et le niveau de la maison d'Achab; et je nettoierai Jérusalem comme un plat qu'on nettoie, et qu'on renverse sens dessus dessous après l'avoir
nettoyé.
Traditionnellement, et personne n'en doute, seuls ceux dont les actes ont démontré le mérite dans l'Art de la maçonnerie seront choisis par les membres de la Loge pour être placés à l'office qui leur convient le mieux, c'est à dire, tout d'abord Surveillants. Ce sont, une fois encore, leurs qualités et leurs compétences à comprendre les mystères de l'Art les conduiront à être reconnus comme Maître et à conduire les travaux de la Loge.
La 47ème proposition d’Euclide
Avant d’aborder l’étude de l’Installation proprement dite, il est bon de rappeler quelques éléments et particulièrement la place de la 47ème proposition d’Euclide dont le bijou du degré porte la marque. A ce jour, le plus ancien document admis comme porteur d’éléments purement maçonniques est le manuscrit dit « Regius » ou « Halliwell ». D'après les données communément admises, ce texte daterait d'environ 1390 et serait la jonction entre ce que l’on nomme « anciens devoirs » et les texte plus anciens qui sont les règles des maçons tailleurs de pierre. Publié en 1840 par James O. Halliwell (d’où son nom), le manuscrit Regius fut mentionné en 1670 dans un inventaire de la bibliothèque d’un nommé John Theyer qui la vendit quelque temps après à Robert Scott qui en fit un nouvel inventaire en 1678. Le manuscrit appartint ensuite à la bibliothèque royale jusqu'en 1757 (d'où son nom de Regius), date à laquelle le Roi George II en fit don au British Museum. Il y est dit :
Au sein du métier parmi eux tous,
Ni sujet ni serviteur, mon cher frère,
Même s'il est moins parfait qu'un autre;
Chacun appellera les autres compagnons par amitié,
Car ils sont nés de nobles dames.
De cette manière, par la bonne science de géométrie,
Commença le métier de la maçonnerie;
Le clerc Euclide le fonda ainsi
C’est ainsi qu’au XIVème siècle on présente l’origine de la maçonnerie comme la déclinaison de la Géométrie. En fait tous les documents maçonniques ultérieurs présenteront toujours la Géométrie comme l’Art fondamental, le premier de tous.
Bien évidemment, la date même du manuscrit et son contenu permettent de penser que la Compagnie existait depuis plusieurs années et que ce document fait suite à une série plus ancienne dont les exemplaires ont été perdus ou n’ont pas encore été retrouvés.
La 47ème proposition du Premier Livre d’Euclide est le développement du Théorème dit de Pythagore :
Dans un triangle rectangle, le carré du côté opposé à l’angle droit est égal aux carrés des côtés qui comprennent l’angle droit.
Dans un triangle rectangle, le carré du côté opposé à l’angle droit est égal aux carrés des côtés qui comprennent l’angle droit.
Enoncé de cette façon, il s’agit d’un développement de l’aspect purement mathématique de la Géométrie en présentant l’importance de celle-ci dans le bon usage des nombres et non l’inverse. En effet, si l’inverse avait été vrai pour Euclide, cette proposition aurait exprimé la priorisation des nombres sur la Géométrie par le fait que la mesure des trois côtés aurait été exprimée par le calcul du carré de chacun des nombres, alors, le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des mesures des deux côtés de l’angle droit.
Rien de tel dans le texte euclidien qui est une égalité de surfaces. En fait, on démontre que le carré sur l’hypoténuse se partage à l’aide de la hauteur relative à cette hypoténuse en deux rectangles "égaux" aux carrés sur les côtés de l’angle droit. On affirme donc la primauté de la matérialité sur l’abstraction numérique. On introduit dans la proposition la vérification nécessaire de la bonne mesure de la construction par l’usage des trois jauges des tailleurs de pierre qui seront reproduites sur le Tablier du Maître. Ces trois jauges, symbolisées par la triple répétition de ce qui ressemble à la jonction de deux équerres, sont relatives aux dimensions de l’espace. Ainsi, par ces symboles visuels, on affirme que le monde existe parce que l’on peut le constater, donc le mesurer, et que la construction existe dans ce monde. Le geste est celui du lissage et de la rectitude, il détermine de l'angle de vue du plan. Donc, si le Passé Maître et, avant lui le Vénérable Maître qu’il était, peuvent constater l’existence du monde, c’est bien parce que ce dernier a rassemblé ce qui est épars à l’aide du niveau et du cordeau afin de construire la Loge figurée par le Triangle Rectangle, l’angle mesuré par la troisième jauge sera donc bien d’équerre. Les autres formes projetées ne sont que des composantes de celle-ci. C'est-à-dire, pour le maçon spéculatif, que la construction de l’Homme (la Loge) passe par la réunion harmonieuse (par le Vénérable Maître) de ses doubles (les Frères) et c’est pourquoi son bijou est la représentation de cette proposition. C’est aussi la raison pour laquelle le Vénérable est détenteur de l’usage de tous les outils. Il en a la pratique et dispose, pour lui-même, ainsi, d’un outillage nouveau.
Installé.
Si l’on garde présent à l’esprit l’importance du rôle du Maître dans la Corporation et la façon dont les Loges procédaient afin d’installer leurs Officiers, Maîtres et Surveillants, il semble très probable qu’il y ait eu, depuis l’origine, des cérémonies particulières héritées d’anciennes pratiques et porteuses de signes de reconnaissances uniquement connus de ceux qui atteignaient cette position supérieure leur permettant de diriger le chantier. Le secret des trois jauges doit être aussi apprécié à sa juste valeur car cette façon de mesurer l’œuvre selon les trois dimensions de la réalité est restée constante dans sa référence ésotérique à une règle de Trois fonctions nécessaires au Sacré et ce, jusqu’à nos jours. Y compris dans la conception de la trinité. L’essentiel des usages maçonniques pré-andersonniennes dont nous parlons ici se retrouve décliné dans les chroniques de la Grand Lodge of All England à York[1] lesquelles présentaient les pratiques relatives à la position particulière du Maître de la Loge et son Installation depuis 1705. C’est de cette époque qu’ont été rassemblées les matières essentielles des différents degrés de la maçonnerie bleue telle que nous la connaissons. C’est aussi de cette époque que date la confusion entre Maître Maçon et Maître Installé.
Pour en revenir à notre « Installation », il se peut fort bien que des cérémonies d’origines très anciennes se soient déroulées de manière voilée derrière une pièce de tissus
séparant les officiants de la Compagnie afin de permettre de masquer la transmission des secrets les plus mystérieux. Cette forme cérémonielle se retrouvaient d’ailleurs, jusqu’au XIXème siècle,
au moins, pour certaines compagnies de pénitents, dans les églises chrétiennes afin masquer aux fidèles les célébrations du temps de Pâques. C’est durant ces rites qu’étaient exprimés les Arcanes
secrets de la Résurrection tels que les développent le Quem queritis, trope des Grands Mystères, chanté dans les abbayes jusqu’au XIIIème siècle, et dont le thème est la découverte du
tombeau vide par les femmes. Cela avait, bien évidemment, pour objet, de souligner la différence de connaissance relative à ceux qui pouvaient pénétrer le Saint des Saints et les autres. Une
reproduction des contraintes d’isolement et la nécessaire préparation cachée de ceux qui devaient être confrontés au visage du Dieu formaient le socle des mystères.
C’est très probablement l’une des raisons qui explique que dans le rituel maçonnique, la cérémonie d’Installation n’a ni ouverture ni fermeture, cette partie est réputée voilée mais se déroule dans la continuité des travaux. En effet, une rupture de temps serait équivalente à sortir le Maître des travaux de la Loge alors que l’Installation doit bien effectuer l’inverse en affirmant non seulement son importance dans les travaux, mais aussi la nécessité qu’il les conduise. Le Vénérable Maître est Salomon et non Hiram. De fait, on ouvre les travaux jusqu’au troisième degré, les Frères de tous degrés sortent en laissant entre eux les Passés Maîtres et l’impétrant. Ils rentreront ensuite, salueront et reconnaitrons le représentant de Salomon selon leur grade. Les travaux seront fermés à chaque degré après chaque reconnaissance et, enfin, le nouveau Vénérable désignera son collège et l’installera selon la bonne pratique, chacun à son poste. Les travaux seront alors clôturés.
On sait que la Cérémonie dite de l'Installation du Maître de la Loge, particulière aux Rites Anglo-saxons dérivés de la maçonnerie des « Ancients » est le lien entre l'accès aux Secrets de l 'Arche Royale et la clôture du parcours des Offices de la Loge Bleue. La nécessité de comprendre l'usage ésotérique de certains symboles est importante en raison des particularités du degré de l'Arche Royale qui présente de nombreuses expressions mystico-symboliques totalement incompréhensibles hors l'étude des symboles et outils propre à cette forme particulière de transition qu'est l'Installation du Maître.
Pour l'Ancienne Maçonnerie, cette cérémonie d'Installation a trouvé son expression la plus aboutie dans le degré de « Past Master », c'est à dire celui où, au delà de la direction d'une Loge, on peut approfondir, dans l'absolu, la symbolique d’outils présentés au Maître et dont certains sont déjà connus depuis longtemps mais dont l'expression et l'implication symboliques n'ont pas été complètement développés dans les degrés précédents. Mais ce n’est pas ici notre propos.
Les Anciennes Loges… et l’éphémère
On l'aura compris, une fois installé on devient Passé Maître Immédiat (PMI et non VMI) par le fait que le degré confère une continuité alors que les devoirs immédiats qui y sont attachés sont du domaine de l'éphémère. Ce degré a été institué en tant que tel et affirmé comme un élément important de la transition d'une forme maçonnique à l'autre afin de procurer au maçon qui le reçoit, les outils nécessaire à son parcours futur.
On en retrouve la trace la plus ancienne vers 1705 au Nord Est de l’Angleterre et uniquement chez les « Ancients ». Cela semble naturel dans la mesure où il s'agit d'une pratique qui revendiquée comme l'héritage de l'Ancienne Maçonnerie d'York.
On sait que l’absence d’ « Installation » et du degré d’Arche Royal faisait partie des reproches fondamentaux des Ancients à l’encontre des Moderns qu’ils accusaient ainsi d’avoir opérer une rupture avec la tradition maçonnique et généré des transformations dans le message et les parcours de la maçonnerie. Consécutivement à ces importantes suppressions relatives aux pratiques anciennes, on ne procédait à aucune cérémonie de continuité, pas même celle de Royal Arch. Ces modifications, effectuée au regard des dogmes, étaient d’une nature telles qu’elles privèrent de tout contenu le travail des Loges et le rendirent incompréhensible laissant ainsi la place libre à l’introduction de mysticismes des plus délirants.
Cette cérémonie d’Installation, replacée dans son contexte naturel après l'Acte d'Union de la maçonnerie anglaise, en 1814 et la déchristianisation de ses rituels, a retrouvé, aujourd’hui, une place importante au sein des rites rite Anglo-saxons.
Bien que ne faisant en aucune manière partie du cursus traditionnel des formes de la maçonnerie implantées en France, laquelle est l’héritière des « Moderns » Andersonniens, cette cérémonie s’est vue adaptée, voire, réinventée, depuis quelques années dans certaines obédiences probablement séduites par la richesse des contenus, du style et des décors. Il n'en demeure pas moins que la séduction ne suffit pas à donner du sens.
Le Frère ou la Sœur qui ne comprend pas que ce degré n'implique pas d'être Vénérable Maître « à vie », ni Passé Maître Installé hors du contexte logique de la progression des Loges Bleues des cérémonies anglo-saxonnes, reste, au mieux, un singe « savant ». En fait, l'image qui demeure, maçonniquement parlant, la plus juste est celle du marin perdu dans la tempête et qui ne sait pas comment fonctionne son compas. Mais l'outil, bien qu'inutile, demeure joli et richement décoré.
Voyons, cependant, de quoi il s'agit et à quoi cela peut il faire référence.
Three degrees no more…
Joa 20:15 dicit ei Iesus mulier quid ploras quem quaeris illa existimans quia hortulanus esset dicit ei domine si tu sustulisti eum dicito mihi ubi posuisti eum et ego eum tollam
L’Installation du Maître de la Loge est une cérémonie totalement inconnue de la pratique des Moderns, et même farouchement rejetée par les tenant de ces rites.
On rappellera ici les propos du Grand Secrétaire des Moderns James Heseltine qui, peu de temps après la création de la Grande Loge Unie d’Angleterre, déclarait « Il est […] prononcé que la pure Ancienne Maçonnerie consiste en trois degrés et pas plus, c'est-à-dire: Apprenti entré, Compagnon, y compris la Marque, et Maître Maçon, y compris l'ordre suprême de la Sainte Arche Royale.». Ce qui est, en soi, une déclaration suffisante à conclure que l’Installation n’est pas un degré mais une transition. Pour certains rites, la question qui se pose naturellement est : transition de quoi vers quoi ? Mais le temps est passé sur les principes et la particularité des Tabliers aux Trois Jauges a fait son œuvre.
L’Installation du Vénérable Maître est néanmoins une institution très ancienne qui trouve son inspiration dans deux sources principales : la cérémonie de la chevalerie de la Jarretière dont les Chevaliers sont « installés » dans leurs sièges au sein de la Chapelle Saint George dans le Château de Windsor.
Selon certains auteurs elle s’inspirerait aussi, pour ne pas dire surtout, de la consécration des Évêques et du fait qu’ils soient « installés », « cathédrés », dans leur siège, la cathèdre (dont le nom signifie « siège à dossier »). Le déplacement de ce trône peut transformer toute église en Cathédrale et placer toute manifestation sous la protection de l’Église toute entière puisque le mandataire papal est manifesté par la présence de son siège. Le terme même rappelle la gestuelle de la cérémonie d’Installation puisqu’il est composé de deux mots, « cata » qui veut dire « vers le bas » et « hadra » qui signifie « siège », on pousse donc vers le bas le candidat afin qu’il prenne sa place. Ce trône n’appartient qu’à lui puisqu’il est l’image de son occupant mythique.
Le fait de pouvoir déplacer le siège de l’Évêque afin de déterminer de la nature de la cérémonie se retrouve d’ailleurs totalement en maçonnerie par le fait qu’il suffise que le Maître et ses Officiers puissent se rendre en n’importe quel endroit et ouvrent les travaux pour que la Tenue soit considérée comme régulière.
La rituélie maçonnique « ancienne » n’est jamais attachée à un lieu mais à ceux qui la pratiquent. Cela répondrait à la question de la régularité des réunions posée plus haut. Il est d’ailleurs à noter, sur ce point, que l’une des origines possibles de la cérémonie provienne de la sécularisation des mystères moyenâgeux exécutés, à l’origine, au cœur des monastères et ensuite confiés aux guildes, à partir du XIIIème siècle, afin qu’elles soient en charge des représentations édificatrices.
La principale source d’inspiration était d’ailleurs l’ascension du Christ vers son trône céleste ; « pourquoi pleures-tu? Qui cherches-tu? » (Jean 20 ; 15 - 17). On sait qu’à cette époque, le personnage de l’Évêque était celui qui présidait aux festivités, voire, le premier à subir une transformation d’inversion dans les périodes de « charivari » et de carnaval durant lesquelles un enfant prenait sa place. Il s’agit bien ici de transférer l’autorité de substitution de Salomon. Le Maître qui tient cette place doit rester assez modeste pour ne pas penser à faire un transfert total. La cérémonie consiste à placer le Maître dans la chaire, dans le corps, de Salomon. Ces raisons justifient que les anciens maçons préféraient dire que le nouveau Maître était « Assis », « induit », « introduit » ou « inscrit » dans sa chaire plutôt qu’installé, terme qui n’est utilisé de façon certaine en maçonnerie qu’à partir de 1723. De nouveaux outils sont présentés au Maître devenant Vénérable, avec de nouvelles définitions, ce sont les trois jauges ; un fil à plomb, une truelle (ou un niveau) et un plan de l’édifice. Ce sont les symboles de ces outils qui figurent sur le tablier, schématisés par la symbolique issue des mouvements verticaux et horizontaux.
[1] Voir sur ces points « York Mysteries Revealed » par le Rev. Neville Barker Cryer - Lewis Masonic - 2006