Question de Temps
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"Il ne suffit pas du tout à l'homme de savoir si
Dieu est. Il veut savoir s'il est quelqu'un et s'il répond."
Lanza Del Vasto
Principes et Préceptes.
"Per conformitatem intellectu et rei verititas definitur"
Saint Thomas d'Aquin
L'une des questions les plus fondamentales que se soit jamais posé l'homme est de savoir ce que lui réserve l'avenir, comprendre quel peut être l'ordre du temps... Car, de l'ensemble de la Création, c'est lui qui justifie le plus intensément, de par son libre arbitre, le besoin d'un ordre extérieur immuable. Soit pour le régenter, soit pour s'y soumettre. Cette construction ordonnée, du moins la définition qu'on lui donne, détermine la structure des sociétés et les rapports que l'individu place entre son devenir et son comportement.
Contrairement au reste du monde animal, aux êtres vivants qualifiés d'inférieurs dont les attitudes sont réglées par des instincts ou des tropismes si rigoureux qu'ils sont presque dépourvus de tout choix, l'homme a, lui, la capacité de choisir. Il a donc la possibilité d'abandonner certaines options. Du moins a-t-il conscience de l'éventualité de cette possibilité, à tel point qu'il constitue des rituels qui lui permettront de régler ses comportements et d'en déterminer les fondements.
Exploiter les alternatives amène au besoin de prévoir, de comprendre, de questionner un ordre extérieur, de ramener un certain nombre d'actes à une règle générale qui permette de substituer le libre arbitre à un mode global en accord avec un ensemble donné de coutumes, rituels, religions, codes moraux, etc... Ces fonctions alternatives, et souvent empiriques, ne sont d'ailleurs pas systématiquement d'ordre philosophiques ou anthropologiques, elles peuvent aussi apparaître sous une forme plus concrète.
On sait que, soumis à une pression X, un corps se compressera de telle ou telle manière. L'ordre des choses prend ici la forme d'une donnée vérifiée et vérifiable qu'il n'est plus nécessaire d'expérimenter à chaque fois que l'on souhaite y faire référence. C'est ce que l'on nomme "science". Les rituels sont de même nature et offrent la possibilité unique de permettre à qui les pratique de prévoir ce qui va se passer. Mais les résultats son loin d'être fiables ou reproductibles. Cependant, dans le cas où aucun des éléments nécessaires à la construction de cet ensemble d'alternatives ne répond à la problématique immédiate, l'angoisse de la décision ou du questionnement peut devenir tel qu'il devienne nécessaire de trouver ailleurs les réponses, voire de déterminer un nouveau système de référence. Partant de là, de donner à un certain nombre d'éléments, de formes, d'images, une signification déterministe.
Que la réponse donnée à la construction de l'ordre du Temps prenne la forme d'accompagnement des morts dans leurs dernières demeures, de bijoux, de techniques particulièrement soignées d'embaumement, ou bien d'une pratique particulière permettant de donner une réponse immédiate au fantasme d'une projection d'événements, elle fait, le plus souvent, référence à des pensées plus profondes que le simple constat d'un comportement extérieur. L'illusion de l'éternité ainsi construite va plus loin que la simple pratique gestuelle ou la simple référence à des modes signifiants.
Liés tant au devenir de l'homme qu'à la raison même de son existence, l'usage des moyens qui seront mis en œuvre pour répondre au problème posé par ce que l'on perçoit comme le nécessaire ordre des choses ne peut se rapporter, si l'on se contente d'un premier degré de l'étude, qu'à la conscience d'un plan d'ensemble de la création plus grand que la Création elle même. C'est ce que les néo-créationnistes, désireux de trouver un moyen d'évidence permettant de donner au monde un début facilement identifiable, nomment le Grand Dessein. C'est le concept le plus largement utilisé depuis la Gnose de Princeton. Dans les domaines de la préscience, l'homme se place plus souvent comme observateur que comme acteur, même si les données qu'il utilise pour observer ne sont rien d'autre que ses propres créations.
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De fait, les Lois immuables de la physique changent avec le Monde et les relations qu'elles entretiennent avec un ordre extérieur que l'homme s'impose sont, bien souvent, un substitut à ce qui justifie le comportement. Ce qui n'est pas inné devient au mieux culturel, voire, au pire, cultuel, ce qui, dans tous les cas, permet de stopper la question au moment où elle se pose..
Mais, la Question reste néanmoins en suspend : existe-t-il un plan d'ensemble qui, à lui seul justifierait l'existence et libérerait ainsi l'être humain de ses responsabilités et de sa volonté fondamentale de pouvoir agir et se situer dans le pourquoi de l'Univers. Un plan d'ensemble qui viendrait justifier la réalité même de ce qui est humain dans l'humanité, dans le cycle d'une vie autrement et qui pourrait dépendre d'autre chose que du hasard ? En d'autres termes, une formulation rassurante de l'existence. L'Etre Humain a-t-il une raison d'être et, au delà de cette raison, qu'est-ce qui peut justifier ses actes ? On l'aura compris, la primauté de la finitude humaine est une révolution théologique tout autant qu'une ligne directrice de la pensée. Ainsi, la conscience est-elle le fruit du hasard, du moins, le libre arbitre est-il autre chose qu'une forme particulièrement élaborée de tropisme ?
La conscience du Temps est-elle immuable et chaque individu peut-il trouver sa place dans la construction globale de l'Univers au delà d'une simple soumission, d'une identification nécessaire à un groupe, qu'il nommerait "égrégore" pour se rassurer et croire en son libre arbitre ? C'est l'un des objectifs de la chaîne d'Union maçonnique que d'être, de pouvoir être et, en même temps, veiller à être.
Ainsi, même dans la recherche scientifique du pourquoi de la vie, de la structure la plus intime de son fonctionnement, se cache encore et toujours les mêmes questions : qui sommes nous, d'où venons nous et où allons nous ? Et, plus encore, sommes nous véritablement la fin de l'évolution telle que nous le présente notre anthropocentrisme.
C'est à ce questionnement sur l'ordre du temps et la structure des choses que se rapportent la plupart des Rituels et des Arts divinatoires car l'un et l'autre sont de même nature : il s'agit de figer le temps sur nos certitudes.
Il faut bien comprendre que ce type d'angoisse existentielle, pour ne pas aller plus avant dans les méandres psychologiques de l'inquiétude, est l'un des moteurs principaux de l'Homme et des civilisations qu'il crée.
Quelle est la démarche d'un questionnement du présent en direction de l'avenir sinon la recherche d'un cautionnement des actes, la recherche d'une "non responsabilité" des décisions ? Un peu comme des francs-maçons qui s'abstiennent pendant un vote...
Au fil de l'Histoire, les différents groupes humains se sont attachés à lier leur devenir à un certain nombres d'éléments extérieurs auxquels une sorte d'existence propre était attribuée.
Ces éléments ont pris des noms et des formes aussi divers que variés à travers les temps ou les lieux, mais ils font souvent référence à l'environnement direct ou à la question dont ils sont sensés donner la réponse... que ce soit Dieu, le Destin, l'Univers, la Loi du Marché ou les règles sociales, chacun de ces éléments, pris séparément, représente la caution extérieure de l'acte, l'ordre suprême des choses. Il s'agit d'un ordre autonome à qui l'on attribue une vie propre et hors de tout contrôle, un ordre auquel il est nécessaire de ce soumettre et au sein duquel il faut bien exister.
En fait, la réponse donnée à la question "y a-t-il un ordre des choses?" est toujours "oui" quel que soit celui qui la pose, il est bien évident qu'il faut se rassurer, et cette question se transforme en une nécessaire soumission. L'homme remplace ainsi son absence de tropismes par la construction de ses propres codes et la nécessité de s'y soumettre au risque de s'exclure lui-même de ses constructions, de se placer en dehors des critères qu'il a conçu pour définir sa réalité. Ce n'est pas la pratique maçonnique qui viendra me contredire sur ce point, tant il est vrai qu'elle revendique haut et fort l'humilité en la confondant le plus souvent avec la soumission. Triste privilège que celui de ceux qui n'ont rien appris à vouloir contraindre ceux qui souhaitent apprendre...
Cet ordre des choses, cette voie, trace le chemin, elle distingue des cadres au delà desquels rien n'est consciemment possible. Dans les zones incompréhensibles se réfugient tous les événements "hors caste" que l'on qualifie de paranormaux. Ainsi, la marginalisation devient l'objet d'étude, de soins attentifs ayant pour vocation de ramener dans une zone compréhensible ce qui ne l'est pas. Il n'est pas question de normalité mais bien de compréhension. La Loi détermine de ce qui est apte à exister.
Dans le cas de la référence à un comportement social valorisé comme paradigme, ce cautionnement se traduit par l'acceptation de l'ambigüité des réponses de l'oracle ou du conseiller. Il offre le moyen d'être au pied du mur, de devoir choisir dans les cas extrêmes. Sans le blocage psychologique de la culpabilité ou du remord qui accompagnait des décisions individuelles. En fait, la règle est absolue ; tout questionnement reçoit une réponse et cette réponse est celle que dicte le cadre. Elle comporte plusieurs volets parmi lesquels il faut choisir. Le mauvais choix est comme le pas de côté du Compagnon, certains peuvent gloser des heures sur sa signification de "révolte" et de dernières réserves avant de rentrer dans le rang... mais, bon, les mêmes se saluent par leurs "rangs", grades et qualités... ce qui est proprement antimaçonnique puisque nous n'avons pas de rang... ( allez donc voir ce qu'en pensent les landmarks... "nous n'avons qu'un seul rang, celui de frère" )...
La seule différence entre la décision individuelle et le questionnement du conseil extérieur que l'on peut solliciter d'un oracle se trouve dans les réponses... celles que propose l'oracle ne semblent pas être issues de soi-même... on délocalise, en quelque sorte, la décision... on ne semble plus responsable de l'interprétation que l'on peut se faire de l'ordre du monde... on pourra même aller jusqu'à penser qu'un maçon puisse s'abstenir durant un vote... on remet son destin entre les mains d'un ordre supérieur que l'on se refuse à nommer, à maîtriser... à penser, même, que l'on puisse le maîtriser... ou pire, qu'il soit maîtrisable... En réalité c'est toujours le questionneur qui choisi les réponses, l'oracle se sera généralement contenté de lui indiquer différentes possibilités à même de le satisfaire. Bien souvent aussi, le questionneur connaissait déjà les différents choix et se retrouve conforté dans ses appréhensions ou ses certitudes inconscientes. Il ne demande qu'une autorisation qui viendrait "d'en haut".. Il ne demande que la libération de la responsabilité. Ce refus de responsabilité‚ est tel qu'il peut même prendre la forme d'un questionnement successif de l'oracle jusqu'à ce que celui-ci fournisse la réponse souhaitée.
L'Histoire ne manque ni d'exemple ni de moyens sur ce sujet, de même que la vie quotidienne. En Malaisie ou en Chine, par exemple, lorsque l'on va construire une maison, il est de coutume de questionner les oracles afin de savoir quel sera l'endroit le plus approprié‚ pour planter le pilier principal. On montre un endroit sur le sol et l'on questionne l'oracle. Si celui-ci donne une réponse défavorable, on montre alors un autre endroit, à quelques mètres de distance, et l'on repose la question et ainsi de suite jusqu'à ce que la réponse soit favorable. De fait, la maison est, de toute façon construite dans le coin choisi et le constructeur a effectivement été déchargé de ses responsabilités sur ce qui pourrait ensuite apparaître comme des malédictions ou de mauvaises vibrations... en d'autres termes, l'augure a déterminé de la justesse du choix et l'erreur, s'il y a erreur, ne peut venir que de l'oracle...
En fait, l'utilisation, par toutes sociétés humaines, de la divination repose vraisemblablement sur une démarche que l'on pourrait qualifier de croissance vers l'âge adulte. En effet, les enfants ne semblent jamais concerné par les Arts divinatoires, ni par les prédictions en tant que telles. Alors qu'il sont en pleine phase de construction de leur "moi temporel", leur responsabilité est définie par les actes des adultes. Ce sont ces mêmes adultes qui traduisent les choix de l'oracle s'il y a lieu. La relation qu'ils entretiennent avec l'avenir est celle qui sera donnée par leurs parents. Bien souvent ils considèrent que les actes de ceux-ci demeurent incompréhensibles, manquant de logique, à tout moment ils demanderont des promesses qui deviendront pour eux, autant de certitudes quant à l'avenir, autant de cautionnement quand à la justesses de leurs actes.
En fait, la question semble bien posée car, si dans le développement normal d'un individu humain, il existe un certain nombre de moyen physiologiques de déterminer l'âge par une simple constatation extérieure et sans entrer dans des analyses poussées, la détermination d'âge psychologique n'offre pas les mêmes aspects. Rien dans l'apparence extérieure d'une personne ne permet de dire quel est son état d'avancée vers ce qu'il est possible d'appeler l'âge adulte. Même son comportement général ne reflète pas cette notion ; en effet, une personne peut très bien avoir un comportement tout à fait normal au regard de la société, du groupe, et n'être, en fait qu'un enfant au regard de son propre déterminisme. Les données standard permettant le passage d'un statut social à l'autre prennent, le plus souvent la forme de rituels de passages, de modification de données d'état civil (mariage, naissance, décès...) qui permettent de manière totalement arbitraire de savoir ce que l'on est en droit d'attendre d'un individu, mais il n'existe pas de moyens purement psychologique autre que l'analyse. Ce cycle de passages est tout aussi bien valable pour les sociétés dites primitives où les individus sont considérés comme franchissant une strate ou une autre en fonction de différents critères généralement d'ordre physiques ... puberté, courage, premier enfant, ménopause, etc...
Chaque époque, chaque civilisation s'est évertuée à définir des normes permettant d'accéder à la connaissance du devenir ou, du moins, à tenter d'en démonter les rouages. Les particularités de ces formes appartient aux peuples qui en furent les utilisateurs, mais, les civilisations se suivent et ne se ressemblent pas. L'autre particularité‚ des formes utilisées pour la divination, fut la dénonciation des formes précédentes, la négation de leur efficacité‚, le refus même de faire la part des choses et de tenter de voir dans ces pratiques l'expression originale des hommes qui les utilisèrent.
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