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Truthlurker recherches et symboles

La Maçonnerie des "Ancients"

Rédigé par Lurker Publié dans #Bloc note

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On affirme souvent que la franc-maçonnerie spéculative est née à Londres en juin 1717, dans le quartier de « Fleet street ». On oublie toujours de préciser qu'elle le fut en même temps que bon nombre de sociétés de sociabilité plus ou moins pittoresques aux tendances pour le moins festives telles les Gormogons, le Grand Kaihebar ou autres clubs de tavernes assez spécifiques de l'Angleterre à cette époque.

En fait, ce qui fut fondé en ce solstice 1717, n’est ni plus ni moins qu’une société de Taverne fédérant d'autres clubs du même ordre autour de l'idée d'organiser, en commun, une fête de la Saint-Jean d'été, afin que les festivités coûtent moins cher à chacun. Ce qui reste très particulier à cette fondation est l’appropriation dont elle fit l’objet.

Dans la mesure où ce regroupement se composait de personnalités scientifiques et culturelles d'importance, il fut convenu de lui donner un nom rappelant une société déjà existante et disposant d'une bonne image de marque, voire d’une tradition de protection et d’une certaine liberté d’action. La maçonnerie ancienne fut donc arbitrairement libérée de ses devoirs et mystères propres pour devenir « libre », « free » et elle fut appelée « freemasonry ».

Elle se dota d'un organe de gestion et de développement qui fut, toujours en relation avec la société ancienne, nommé « Grande Loge ». C’est principalement en cela que réside l’originalité de la création. Avant 1717, point de « Grande Loge »… de la revendication de « liberté » naissait la plus grande contrainte de la maçonnerie : l’Obédience. Comme ce club à vocation universel siégeait à Londres et nulle part ailleurs, la « Grande Loge de Londres » vit alors le jour.

Son président fut nommé en la personne d'Anthony Sayer, personnage falot qui passait ainsi du rôle ingrat de secrétaire de Newton à celui de président de Club.

Il laissera bien vite sa place à Jean-Théophile Desaguliers, pasteur calviniste presbytérien, homme de cour fréquentant la petite noblesse du « tout Londres », qui décida immédiatement de faire de ce club de quartier une organisation importante et proche du Pouvoir.

Il y vit un excellent moyen de progression sociale et de reconnaissance religieuse et, pour ce faire, il sollicita immédiatement la haute noblesse.

Afin de garantir la légende et entretenir le mystère, il demanda donc à un ami, le pasteur John Anderson, lui aussi presbytérien, mais surtout faussaire spécialisé dans les armoriaux douteux et les légendes familiales imaginaires, de construire celle de l'Ordre sous forme de Constitutions.

Ce club de sociabilité, dès lors qu’il obtint sa protection de la noblesse, se mit très vite à jouir d’une bonne renommée et devint, tout aussi vite, un enjeu d’influences entres catholiques (jacobites) et protestants (hanovriens).

Il fut exporté à Paris le 12 juin 1725 date à laquelle fut créée, à l'instigation de Lord Derwentwater, réfugié catholique jacobite, la Loge Saint Thomas qui s'installa dans une taverne-traiteur très fréquentée par les immigrants anglais, chez Barnabé Hute, rue de la boucherie. Une Loge concurrente fut installée par les protestants calvinistes en 1732, quelques rues plus loin, à l'Auberge du Louis d'Argent. Mais le projet de « redressement » protestant de la franc-maçonnerie française sous l'égide des presbytériens fit long feu dans un pays extrêmement Catholique qui s’appropria, pour son compte, une structure particulièrement à même de fédérer l’esprit mystique du temps.

Cette naissance de la première Grande Loge de France et l’appropriation, par les français de cette forme de société, sépara presque immédiatement les destinées des deux ordres et eut pour conséquence, une évolution particulière à la branche continentale.

Cette évolution a soustrait la franc-maçonnerie française à l’influence du conflit qui opposa, sur le sol britannique, le courant de ceux qui se nommèrent ancients, en référence à la longue tradition à laquelle ils appartenait depuis les Loges d’York et des guildes de bâtisseurs, à ceux de 1717, intellectuels précieux et courtisans, nouveaux adeptes d'un protestantisme rigoriste et qu’ils qualifièrent péjorativement de moderns pour ne pas dire imposteurs. La Franc-maçonnerie française ne pouvait pas être concernée puisqu’elle n’était plus, à proprement parler, héritière du courant de 1717 tant elle en avait accentué les contraintes et démultiplié les disparités.

Nous n’aborderons pas plus loin, ici, cette problématique plus particulièrement relative à l'introduction de facto d'une chatoyante et orgueilleuse noblesse dans un ordre aux revendications égalitaires et intellectuelles, pas plus que l'analyse d'éventuels contenus mystico-ésotériques parfois plus que douteux. Ce débat serait par trop étranger à mon intervention de ce soir et ce, même si je n’en conteste pas l’intérêt. 

La structure actuelle de la franc-maçonnerie anglaise revendiquée comme la seule « régulière » et qui sera celle dont nous aborderons ce soir, le fonctionnement, porte le nom de « Grande Loge Unie d’Angleterre ». Cette dénomination se rapporte exclusivement àla fédération de Loges que nous connaissons qui fut constituée après l’Acte d’Union de 1814 dans la continuité de cette surprenante idée qu’il faille justifier d’une Grande Loge pour exister… ceci étant, ce fonctionnement en Grande Loge permit d’éviter la banqueroute de la maçonnerie de 1717 qui s’était très endettée dans la construction du Masonic Hall et mit fin au conflit qui opposait les deux formes en présence des Ancientset les Modernsen 1813. 

Cette Grande Loge à vocation universaliste fut consacrée le 20 mai 1816, lors d’une tenue de Cérémonie dite de « Grande Loge » présidée par le Très Vénérable Grand Maître, Son Altesse Royale le Duc de Sussex sur la base d'une cérémonie dont le rituel fut spécialement constitué à partir de plus de 80 % du rituel des « Ancient » et que nous connaissons aujourd'hui sous l'appellation de « Perfects Ceremonies » ou d' « Emulation Ritual ».

 Qui sont les Maçons Ancients ?…

Les maçons Ancientsse présentent au XVIIIème siècle, sous la forme d’un regroupement assez disparate de petites Loges indépendantes les unes des autres et regroupées autour de ce que Patrick Négrier appelle « Rite du Mot de Maçon ».

Elles ont diverses origines, proviennent majoritairement du nord Est de l’Angleterre, d’Irlande ou d’Écosse. Elles présentent toutes un caractère nomade hérité de leur traditionnel déplacement de chantier en chantier. Elles se réclament de l’ancienne confrérie de métier dont l’organisation se constitua vers le VIIIème siècle avec les monastères culdéens, puis, pour résumer, avec les statuts Schaw et la vieille Loge d’York qui ne devint Grand Lodge of All Englandqu'en 1725 en réaction aux « Moderns », mais que le Roi d'Angleterre et ses Évêques gouvernaient déjà depuis le IXème siècle. 

Avant cette période du XVIIIème la maçonnerie des ancients n'avait jamais été regroupée en fédération générale mais seulement en guildes statutairement indépendantes et dirigées par des Maîtres d’œuvres nommés par le Roi, tels que William Schaw. Les Loges n’existaient que par ceux qui les composaient et se constituaient selon les besoins. On se reconnaissait selon les connaissances et non selon la présentation d’une « quittance de capitation ».

Ce qui reste surprenant aujourd’hui est l’énergie déployée dans la concurrence avec une société qui leur était totalement étrangère et dont l’existence était à ce point fortuite qu’elle en vint peu à peu à décliner.

En effet, l’origine des anciens étant purement opérative, ils se revendiquaient, à juste titre, comme les seuls véritables membres de l’ancienne maçonnerie véritable issue des loges archaïques et détenteurs des secrets de Géométrie. Ils affirmaient leur antiquité par le fait que leur corporation aurait été fondée et structurée par le légendaire Roi Athelstan au IXèmesiècle. 

Par voies de conséquences, ils se présentaient comme les seuls pratiquants du rite régulier de la maçonnerie, et les seuls habilités à en communiquer les mots, signes et attouchements secrets... secrets plus ancien que ceux soi-disant formulés mais surtout inventés ou dénaturés par les fondateurs de 1717. Au-delà de la place des colonnes, il s’agissait bien de la nature même de l’enseignement et du Mot de Maçon et de la construction organisationnelle qui marquait la différence.

Ce groupe est généralement et tardivement nommé Grande Loge des Ancientset cette appellation vient du fait qu’à partir de 1717 il était devenu plus facile de parler de la maçonnerie par référence à l’Obédience plutôt que par référence à la qualité de maçon. Cette remarque est particulièrement vraie pour les historiens français. Cependant, nous savons aujourd’hui un certain nombre de choses à propos de ces « ancients » et de leur organisation rituelle. Les degrés intérieurs, les Ordres, leurs liens et tout ce qui construisait la démarche de progression car leurs rituels et leurs connaissances étaient enseignés progressivement. D’abord la totalité du cursus était présenté aux apprentis et ensuite les éléments étaient étudiés par progression jusqu’à la transmission des secrets de l’Arche. Ces secrets ont toujours été considérés comme le « cœur », la « substantifique moelle » de la maçonnerie par les « ancients » à tel point qu’un des mots utilisés était « la moelle est dans l’os »… « marrow in that bone »… « mahhabone ». La franc-maçonnerie des « ancients » présente une autre différence, et de taille. Elle s’organise, au moins depuis les traditions des maçons d’York, autour d’apprentis et de compagnons, ces derniers deviennent ensuite des « hommes de marque », puis des « maitres de marque » avant de devenir Maître de la Loge, puis Excellents Compagnons de Royal Arch. Il faudra attendre l’exportation du rite dans les colonies d’Amérique pour voir séparer la Marque et l’Arche d’avec les trois premiers degrés et patienter jusqu’à 1728, pour les maçons de 1717, pour intégrer la légende de la maitrise dans le thésaurus des moderns.

On comprend alors pourquoi ces maçons, principalement immigrés Irlandais et Ecossais furent très surpris de se voir refuser l’accès des Loges de Londres et, les rares fois où ils furent acceptés, de constater que ceux de 1717 ne s’étaient pas contentés de s’organiser autour d’un pouvoir central, mais n’avaient bel et bien aucune compétence maçonnique particulière, pas même l’organisation des grades. 

Le regroupement de ses Loges d’ « Ancients » fut réalisé par six d’entre elles, indépendantes, sous l’égide de Laurence Dermott, artisan fourreur et intellectuel bourgeois d’origine irlandaise. 

La véritable appellation de cette assemblée, regroupement d’intérêt, fut, d’abord : « La plusAncienne et Honorable Fraternité des Maçons libres et acceptés », puis,« Grande Loge des maçons libres et acceptés selon les anciennes Institutions » (« Grand Lodge of Free and Accepted Masons of England, according to the Old Constitutions »).

La rencontre qui détermina de l’existence collective des « Ancients » en tant que Grand’Lodge s’est tenue le 17 juillet 1751 à l’auberge de « La Tête de Turc » (« Turk's Head Taverni »)dans la « Greek street » du quartier londonien de Soho, c'est à dire de l'autre côté du quartier du strand, quartier des boutiquiers, à l’opposé géographique du lieu de fondation de la Loge de 1717. 

Les chroniques de John Morgan, qui en assura le secrétariat, indiquent la présence de sept loges, dont aucune, et pour cause, n’était affiliée à la Grande Loge de Londres de 1717. 

Lors de cette fondationii, pour l’historien maçonnologue anglais Bernard Jonesiii, il n’y eut guère plus de quatre vingt personnes, tous boutiquiers, mécaniciens ou petits artisans pour la plupart immigrants d’origine irlandaise installés à Londres.

Cette nouvelle structure prit ensuite l’habitude de se réunir dans une taverne occupée par une huitième Loge qui vint les rejoindre et leur offrir ses locaux ; la Loge « Temple and Sun » sur Shire Laneà Temple Bar, autre quartier de Londres.

En fait, ne nous leurrons pas, tout se passait dans trois pâtés de maisons.

Cette Grande Loge des Ancientsfut également connue, à l’époque, sous le nom de Grande Loge Atholl, du nom des Ducs d'Atholl, protecteurs de longue date de la corporation, qui en assurèrent la Grande Maîtrise à partir de 1771. Cette nouvelle institution prétendait regrouper tout à la fois la Grande Maîtrise des Ancientset celle de la Grande Loge d’Écosse, laquelle s’était constituée en 1736 après que les Saint-Clair de Roslyn se fussent démis de leur charge de protecteurs héréditaires de la maçonnerie écossaise. 

Autre particularité, les membres de la Grande Loge des Ancientsrevendiquaient une appellation particulière, celle de « free and accepted masons », c'est-à-dire de « maçons libres et acceptés ».

Le qualificatif de « Libre » devait rester dans la dénomination générale de la maçonnerie spéculative et se transformer peu à peu pour devenir « freemason ». 

Il existe aujourd’hui beaucoup de littérature relative à ce qualificatif et développe le fait que les ouvriers maçons, de part leur qualité d’artisans itinérants, disposaient d’une certaine liberté, une franchise, d’action et de regroupement parmi les différentes guildes ouvrières qui existaient sous le système féodal. Certains auteurs, en particulier Eric Wardiv, font dériver ce nom de free-masonsdu terme qualifiant la pierre franche, free-stonequi sera généralement accompagné du nom de qui la travaille, le mason. Cette formule verra sa première apparition au XIVèmesiècle avec l’instauration d’une sorte de premier droit du travail ; les Statutes of Labourers (Ordonnance des Travailleurs),en 1351, lequel définit un statut de master free-stone mason près d’un siècle avant la rédaction du Regius. Tout cela produira avec le temps un terme générique de freemason, frimason, freymasonou free-stone mason. Ces explications concernant l’origine du terme freemasondécoulent directement des théories soulignant la filiation opérative de l’Ordre et sont restées, aujourd’hui, comme une garantie de régularité originelle des obédiences. 

Eric Ward, auteur des manuels Apprenti-Compagnon-Maître du rite Émulation, fait remonter ses sources historiques des origines aux XIIIème et XIVème sièclesce qui semble être confirmé par certains documents d’époque.

Cette explication basée à la fois sur la mutation linguistique et les affirmations, plus ou moins réalistes, d’une majorité de tailleurs de pierre au sein des corporations de maçon, se heurte, cependant, aux statistiques des anciennes Loges écossaises données par David Stevensonvdans les années 1980 et qui laissent voir que différentes catégories de métiers du bâtiment se retrouvaient dans les Loges et que les tailleurs de pierre étaient loin d’être les uniques membres des guildes de maçons… de là, on peut se demander pourquoi appeler les membres d’une telle société du nom d’une partie seulement de ses membres ? 

Cette Liberté, cette franchise, qui qualifie le maçon, est omniprésente dans les différents écrits relatifs aux guildes de bâtisseurs et aux anciennes Loges de constructeurs dont les métiers concouraient à participer à la construction d’édifices. Tous ces hommes étaient regroupés sous le nom de maçons « opératifs », c'est-à-dire ceux dont le métier est de participer à l’opération de construction.

Ce terme est encore celui utilisé de nos jours. 

Cependant, on le sait, ce sont les francs-maçons qui forment l’Ordre, du moins chez les « ancients », et si l’on souhaite comprendre l’une des réalités culturelles de la fin du XVIIIème siècle, il faut nous arrêter un instant sur ce que disent les catéchismes maçonniques les plus vieux, à savoir qu’un maçon doit être « né libre » et/ou d’une « femme née libre », selon les différents rites en usage. Donc un maçon ne peut être ni esclave, ni né d’esclave, mais, il ne peut pas non plus être « gagé » ou statutairement « contraint ». Ces termes nous feront approcher à la fois les sources et les conséquences de courants internes à la maçonnerie, qu’elles soient symboliques ou purement sociales.

Les dispositions relatives à la liberté, la franchise, du maçon et à sa libre naissance sont, encore aujourd’hui, associés aux Candidats qui ne sont plus ouvriers de chantier et qui désirent recevoir l’initiation. 

La compréhension complète du sens de cette problématique de « naissance Libre » ne peut s’effectuer qu’en replaçant celle-ci dans le contexte particulier d’une société qui les a inscrite dans ses règles. Il est évident, à l’étude, qu’une grande part des rites anglo-saxon de style Émulation et, qu’une faible part, du Rite Écossais Ancien et Accepté, présente une forte inclination à offrir une image ordonnée de la société victorienne du XIXème siècle afin d’en promouvoir le modèle social comme la référence d’une civilisation aboutie, voir d’en justifier, parfois, les écarts. La plupart des auteurs anglais de cette époque sont intimement persuadés de la supériorité du modèle britannique et du fait qu’il doive servir de référence. De la même manière, les sociétés très catholiques ou protestantes, Calvinistes et Luthériennes, du continent, se sont emparées de certains principes afin de les intégrer dans leurs pratiques et leurs modèles sociaux. Par extension, 99% des historiens continentaux de la franc-maçonnerie ne parlent que d’eux-mêmes, comme les anglais. 

C’est ainsi que la « bonne renommée », la recommandation d’excellence de l’ouvrier, des rituels anciens se transforme en « bonnes mœurs » chez les chrétiens rigoristes, protestants et catholiques soucieux d’une meilleure affirmation de la bienséance sociale, garantie d’éducation et d’une lignée sans tache. 

En ce qui concerne cette affirmation particulière à être « né libre », on remarquera aussi que l’exclusion des « Cowans », a disparu de la rituélie moderne et continentale, très probablement parce que peu d’historiens ou d’historiennes de la maçonnerie se sont penchés sur le sujet de la définition de ce terme et des populations qu’il recouvre et que les francs-maçons eux-mêmes ne savent plus trop à quoi cela correspond. 

Pour certain, il s’agirait des ouvriers sous contrat qui œuvraient sur les chantiers de manières intermittentes et qui, de part leur statut n’avaient pas la liberté nécessaire à l’indépendance. 

Pour d’autres, dont je suis, il s’agirait d’une ancienne distinction entre les maçons bâtisseurs sans mortier (proches des techniques celtes et noroises traditionnelles) qui donnèrent naissance à la maçonnerie de métier, d’avec ceux qui utilisent le mortier (méthode importée par les chrétiens de l’empire romain) qui auraient perdu, de ce fait, l'Art de la Géométrie exacte. 

Encore une fois, il serait bon de se pencher sur la question avec application car tout cela semble indiquer que les membres de la Fraternité, de la Corporation, ne pouvaient être des ouvriers « journaliers » embauchés selon les termes d’un contrat qui les aurait placés sous dépendance donc, privés de liberté. Ce qui viendrait infirmer l'explication contractuelle. 

Parmi les compagnons des anciennes loges, et au moins depuis le XVIème siècle, on constate la présence d’autres membres dont le métier n’est ni la construction ni l’architecture. Ils auraient eu des liens avec les constructeurs de part leurs compétences et particulièrement celle de savoir lire et d’être versé dans la connaissance des lois et des coutumes… donc de connaitre le latin… On les nommera parfois « gentlemen masons » ou, le plus souvent, « maçons acceptés». 

C’est cette terminologie « élisabétaine » qui sera reprise pour qualifier les fondateurs de la Grande Loge de 1717 bien avant que n’entre en usage le terme de moderns

Pour bien comprendre la différence entre les « acceptés » et les « spéculatifs », on l’a vu, il faut garder présent à l’esprit que le métier de maçon est celui d’un artisan qui ne tient pas boutique et que le métier oblige à se déplacer de chantier en chantier. C’est là, le cœur de la structure de l’ancienne maçonnerie : le nomadisme et la propagation du savoir par le voyage. Les Loges n’ont qu’une existence éphémère et se construisent pour transmettre.

Les professionnels du bâtiment suivent les chantiers et vont là où ils se trouvent. Avec l’évolution de la société et la disparition progressive du féodalisme les guildes se sont vues contraintes de faire appel à de nouveaux corps de métiers afin de sauvegarder leurs intérêts et de fonder des règles sur lesquelles pourraient s’appuyer leurs corporations. Ces transformations, et les négociations politico-économiques qu’elles supposaient, demandaient la présence de squires, de gentlemen farmers,membres de cette catégorie sociale née de la révolution agraire, ou de représentants de la nouvelle bourgeoisie cultivée, afin d’assurer la tutelle de la corporation et sauvegarder ses intérêts. Ainsi, les premiers Surveillants Générauxdes travaux du Roi, tel William Schaw au XVIème siècle, n’étaient pas des maçons de métier, mais des personnages instruits, proches du Pouvoir, et donc reconnus comme qualifiés à gérer une tel Corporation dont dépendait bien souvent l’image du souverain par la qualité des bâtiments qui marqueraient son style. La Guilde et sa Direction offraient aussi la garantie de la stabilité du Pouvoir qui les nommait et, avec le temps, elles deviendraient l’image des groupes qui pourraient revendiquer une telle appartenance. 

Pour être plus précis, on sait aujourd’hui que cette acceptation qui touche, peu ou prou, toutes les personnalités dont on a pu retrouver trace d’une réception en Loge entre le XVIème et le XVIIème siècle, concerne des personnes de petite noblesse ou de récente bourgeoisie admises à être reçues chez les maçons de métier. Et si ce sont les seuls dont on ait pu retrouver les traces, c’est justement parce qu’ils avaient pour fonction d’assurer des chroniques qui jusqu’alors n’existaient pas. C’est, du moins, ce que démontrent les documents qui sont parvenus jusqu’à nous. Par contre, il n’existe, à ma connaissance, aucune source qui répondrait aux deux questions suivantes : y avait-il des rituels ou des pratiques secrètes autres que les transmissions de secrets et de mots, dans les Loges de maçons anciens ? Par rituel nous entendons une série d’actes et de formules répétées de manière ordonnée autour d’une situation allégorique ou mythologique porteuse d’un idéal paradigmatique. 

Et, surtout ; les maçons acceptésdans les anciennes Loges étaient-ils admis à partager ces mystères confidentiels appartenant aux hommes de métier, ont-ils formé une société intérieure en apportant, au sein de la guilde, les arcanes et les mystères dont ils étaient eux-mêmes les détenteurs ou bien, l’accession aux mystères de la Géométrie était elle, en soi, le Mystère ? 

Nous pouvons, à présent, regrouper l’ensemble afin d’obtenir une image de la mouvance maçonnique la plus archaïque, c'est-à-dire celle des Ancients

Il s’agit d’un regroupement de Frères artisans, praticiens d’un métier et qui disposaient d’une certaine liberté de réunion et de déplacement d’un chantier à l’autre sans avoir les contraintes d’un contrat restrictif.

Ils sont rejoints par d’autres compagnons, étrangers au métier et reçus dans la corporation pour leurs qualités et leurs savoirs afin de gérer les intérêts des chantiers, des Loges et de leurs membres dans un environnement économique et juridique de plus en plus complexe. 

Il s’agit donc bien d’un groupe de maçons Anciens, Libres(Franchisés) et Acceptés(Ancients, Free and Accepted Masons)

Ces questions sont d’autant plus obsédantes pour la recherche en maçonnerie que la nature et même l’existence de cérémonies maçonniques, ou de théâtralisations conceptualisées, dramatisées ou psycho dramatisées, qui auraient été pratiquées par des « spéculatifs » avant 1730viest une matière, pour le moins incertaines et repose sur des bases tout aussi incertaines. 

Ainsi on peut même se demander si le célèbre ouvrage de Samuel Pritchard, Masonry dissected, est une réelle divulgation ou une pure invention.

Là est la question.Ceux de 1717 et la maçonnerie continentale y a répondu, mais qu’en est-il réellement ?

Dans le premier cas, on peut penser qu’il relate une pratique déjà ancienne, mais laquelle ? D’où provient-elle ?

Dans le second; dans la mesure où Pritchard était notoirement réputé comme anti-maçon, on peut se poser la question de la fiabilité des sources ou de l’éventuelle fumisterie. Par extension nous sommes en droit de nous inquiéter du fait qu’elles aient servi de modèle et de référence à de nombreuses Loges et d’arguments à de nombreux historiens depuis lors. L'inquiétude devient plus grande si l'on sait que les secrets sont des « mots, signes et attouchements » et que les maçons, héritiers de Pritchard, s'attachent à considérer comme témoignages ce qui n’est peut être qu’une caricature pitoresque... 

Ne nous leurrons pas, toutefois, il y a bel et bien un secret maçonnique, mais nous ne le dévoilerons pas ce matin, ce serait contraire à mes serments.

Donc, même si l’on peut admettre que les matières mythologiqueset, très souvent, vétérotestamentaires proposées dans les Olds Chargesviiet les anciens catéchismes, forment un substrat cohérent de communication de Mots et de Secrets relatifs aux Mystères de la maçonnerie de métier, aucun ne présente une forme rituelle aboutie avant la publication de la Masonry Dissected.

Ce sont ces types de cérémonies sans théâtralisation que dévoile particulièrement l’ouvrage que j’ai traduit, Mahhabone ; des rituels construits selon une forme reconnaissable aujourd’hui. Pour ne pas dire qu’ils furent l’une des sources de leur élaboration.

On l’aura compris, les différents qualificatifs relatifs aux maçons que nous venons de présenter sont directement issues du foisonnement que représente l’histoire de la maçonnerie, inséparable de l’histoire politique du Royaume Uni.

Ce sont les formes abouties de cette maçonnerie spéculative qui furent transposées sur le Continent.

Mais ceci est une autre histoire bien éloignée des « ancients » et des « moderns »... du moins, à première vue.

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i Les tavernes de Turk’s Head et Queen’s Head étaient fort anciennes et servaient depuis longtemps de siège à des sociétés de sociabilité, des clubs et cercles littéraires, philosophiques et artistiques. C’est dans l’une de ces deux tavernes, la Queen’s Head que se réunissait la Phylomusicae society, plus ancienne source d’une pratique rituélique du grade de Maître.

ii Pour en savoir plus sur ce sujet, on consultera Cécile Revauger, La querelle des “anciens” et des “modernes”, le premier siècle de la franc-maçonnerie anglaise – Editions Maçonniques de France, coll. Histoire – Paris 1999.

iii Bernard E. Jones in « Freemasons’ guide and compendium » - George G. Harrap & Company Ltd – Londres 1950

iv AQC – vol.LXXXI pour 1978 « The birth of free-Masonry »

v David Stevenson in « Les Premiers Francs-Maçons. Les Loges Écossaises originelles et leurs membres » - Editions Ivoire-Clair - 2000 

vi Date de parution de la Masonry Dissected de Pritchard.

vii On appelle d’une manière générale Olds Charges tous les anciens manuscrits et documents porteurs de règles et de catéchismes antérieurs à 1721, date de parution des premières Constitutions dites d’Anderson pour la Grande Loge de Londres. On les nomme aussi, parfois, manuscrits gothiques pour les plus anciens, mais cette qualification ne concerne que les documents qui font font référence aux maçons continentaux de l’époque des cathédrales. On dénombre aujourd’hui plus de 200 documents maçonniques pouvant être considérés comme tels et concernant les seuls maçons des iles britanniques. Ils sont tous composés de la même manière ; une première partie relate une histoire légendaire du métier ; l’autre donne un code de conduite des maçons de la Compagnie et organise les relations entre les apprentis et les maîtres.

 

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